• À Pointe-Lévy le 11 septembre 1775, mutinerie et sédition au début de la révolution américaine

    Publié dans la Revue de la Société d’histoire régionale de Lévis (SHRL), dans le numéro 139 (Hiver 2016) et 140 (Printemps 2016)

     

    Par Yvan-M. Roy                                                                      (SHRL : Numéro 139)

     

    En 1775, un fort nombre d’habitants du Massachusetts s’identifiant comme  ‘’patriotes’’ s’étaient rebellés et avaient réussi à enfermer la garnison anglaise dans la ville de Boston. Ils avaient envoyé des délégués à Philadelphie pour siéger au Congrès des Colonies-Unies, ou Congrès Continental. Les délégués avait voté la création d’une armée, autorisé l’engagement de 15 000 hommes et nommé George Washington pour commander. Ils avait également décidé de lancer une expédition pour chasser les Anglais hors de la province de Québec et d’admettre celle-ci comme quatorzième colonie de leur union. Afin d’éviter que habitants de la province ne soient mobilisés pour contrer leur projet, les Congressistes adressèrent une ‘’Lettre aux Canadiens’’ dans laquelle ils invitaient le peuple à les rejoindre dans leur lutte pour la liberté, et, à défaut, ils les incitaient à garder la neutralité. Des copies de cette lettre d’invitation furent introduites par des espions dans les villes et les campagnes. Nos ancêtres furent placés devant trois options : adopter la cause des ‘’Patriotes’’, demeurer neutres, ou joindre  les ‘’Loyalistes’’.  À la fin de l’été, les habitants de la rive-sud, de Kamouraska à Lotbinière, furent sommés par le gouverneur d’aller défendre la frontière à Sartigan, en haute Chaudière. Les paragraphes qui suivent exposent les événements qui se sont déroulés dans l’est du continent, et particulièrement à Pointe-Lévy, lors de la première année de la révolution américaine.

    Le gouverneur Carleton donne l’ordre de reformer les compagnies de milice

    Depuis 1764, les colonies de la Nouvelle-Angleterre avaient donc protesté énergiquement contre diverses lois imposées par le gouvernement de Londres. En avril 1775, les Bostonnais s’étaient rebellés. De Québec, le gouverneur Guy Carleton avait envoyé deux régiments de sa garnison pour augmenter celle de Boston, laissant la capitale pratiquement sans défense. Ce fut pourquoi le gouverneur voulut rétablir dans la province les compagnies de milices qui avaient été démembrées après la Conquête. En mai 1775, répondant à des rumeurs que les ‘’Bostonnais’’ préparaient une expédition dans le corridor des rivières Kennebec et Chaudière, Carleton donna l’ordre à Gabriel-Elzéar Taschereau, seigneur de Nouvelle-Beauce, d’enrôler ses censitaires. À Saint-Joseph, lorsqu’il voulut s’adresser aux habitants, ceux-ci se dispersèrent, refusant de l’entendre. Il revint donc bredouille à Québec. La résistance à l’enrôlement se répandit dans  le pays laurentien. 

    Guy Carleton

    Guy Carleton

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Le  Congrès décide d’envahir la province de Québec

    Le  Congrès avait mis en marche un projet d’aller en guerre outre-frontière. Depuis l’Acte de Québec de 1774, le Canada s’appelait officiellement‘’ Province de Québec’’. Le terme Canadien était cependant encore utilisé pour désigner les habitants. Le territoire s’étendait du Labrador jusqu’aux Grands Lacs et la rivière Ohio. L’acte avait choqué les spéculateurs et les gens de commerce des 13 colonies de la côte atlantique. Au début de juillet, des espions parcoururent la Nouvelle-Beauce, distribuant la lettre du Congrès aux Canadiens. Sur le lac Champlain,  Richard Montgomery qui commandait l’Armée Continentale du Nord, se préparait à entrer au pays par le corridor formé par la rivière Hudson, le lac Champlain et la rivière Richelieu. Benedict Arnold, du Connecticut, passé d’armateur à colonel en quelques mois, proposa à George Washington d’attaquer directement Québec avec un second corps d’armée de 1 200 hommes. Son plan était d'atteindre Québec en remontant la Kennebec, en rejoignant le lac Mégantic, et en descendant la Chaudière. Washington accepta et confia la direction de l’expédition à Arnold.

    Benedict Arnold

    Benedict Arnold

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Malgré leur serment d’allégeance, les habitants des villages devant Québec refusent l’enrôlement

     Le 10 septembre, un samedi, le major Henry Caldwell, seigneur de Lauzon, convoqua ses censitaires pour rétablir les compagnies de milice dans sa seigneurie. Caldwell se proposait de préciser qu’en raison d’une menace d’invasion du pays, il avait reçu l’ordre de procéder à leur enrôlement. Il espérait inscrire plus de 250 hommes. Pour les contraindre, il lui fallait rappeler le serment d’allégeance qu’ils avaient prêté au roi George II d’Angleterre au lendemain de la Conquête. Au moment de livrer ses propos, Caldwell  a-t-il subi le même traitement que le seigneur Taschereau s’était fait servir pas les habitants de Saint-Joseph ? Quoi qu’il en  soit, Caldwell eut le temps de remettre quelques commissions d’officiers. Toujours est-il qu’il retourna à Québec sans avoir pu procéder à l’enrôlement. Voici d’ailleurs ce qu’écrivit ce soir là un certain James Jeffrey dans  son journal :  ‘’Le major Caldwell, William Grant et plusieurs autres ont été à Pointe-Lévy aujourd’hui pour recruter des hommes, mais ils n’en ont pas eu un seul.[1] 

    Le lendemain, après la messe, Caldwell était de retour avec Gabriel-Elzéar Taschereau et plusieurs autres. Ce fut en vain. Le 12, dans son journal, ce même James Jeffrey écrivit  : Les rapports de la matinée sont qu’hier, à la Pointe-Lévy, les hommes qui avaient été réunis d’aussi loin que Kamouraska, au nombre de 1 400 ou 1 500, contrairement à ce qui fut rapporté hier pour  être envoyés à Sartigan, avaient été convoqués pour reconduire à Québec ceux qui étaient venus pour les enrôler. Ils ont malmené Caldwell, Taschereau et compagnie et ont déclaré qu’ils ne pourraient pas en recruter un seul dans toutes les paroisses de la rive sud. Aucun canot venant de Pointe-Lévy n’est venu au marché aujourd’hui.’’[2] 

    Gabriel-Elzéar Taschereau

    Gabriel-Elzéar Taschereau

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Des postes de garde pour se protéger contre l’enrôlement

    Dans les jours suivants, les habitants de Pointe-Lévy jusqu’à Montmagny établirent des postes de garde dans chaque village pour s’opposer à une descente ayant pour objet de les enrôler. Pour accélérer les communications, ils communiquaient les urgences par le moyen de feux.[3] Quelques mois auparavant, la garnison de Boston avait subi des pertes sérieuses à Concord et Lexington en tentant de mater la rébellion des patriotes Bostonnais. C’était ce que la garnison de Québec voulait éviter. Il n’y eut pas de descente. Les résidents de la Côte-du-Sud étaient déterminés à ne pas s’en laisser imposer, que ce soit par l’état ou par l’église. Pierre Cadrin, un habitant de Saint-Michel, était surement présent à l’assemblée tumultueuse du 11 septembre à Pointe-Lévy. Trois semaines plus tard dans l’église de son village, le 1er octobre, en pleine messe du dimanche,  Cadrin avait interrompu d’une voix forte  le prédicateur jésuite qui prêchait « l’obéissance aux puissances civiles » : ‘’C’est trop longtemps prêcher pour les Anglais’’ , avait-il lancé. Selon la tradition orale, il aurait ajouté : …prêchez donc pour le bon Dieu maintenant ».[4]

    Les Bostonnais passent la frontière en fin d’octobre

    La nouvelle que les ‘’Bostonnais’’ avaient passé la frontière arriva à Pointe-Lévy à la fin d’octobre. Il fut décidé d’envoyer un homme du village porter à leur colonel certains renseignements d’importance ainsi qu’une offre de coopération. Ce messager, Ignace Couture,[5] fut arrêté par les éclaireurs de l’avant-garde après avoir passé Saint-Henri. Couture les informa alors qu’un détachement de loyalistes avait visité la rive-sud, saisissant ou détruisant tous les bateaux et canots. Craignant une descente punitive de forces gouvernementales, Couture ajouta à l’intention du colonel que les gens de son village lui demandaient de se presser pour venir leur porter secours sans quoi ils seraient forcés de prendre les armes contre eux. Enfin, il prêta son cheval à un des éclaireurs pour qu’il aille sans délai à Sainte-Marie où se trouvait  Benedict Arnold. Dès qu’il prit connaissance des informations transmises par Couture, Arnold envoya acheter une vingtaine de canots auprès des Abénaquis de Sartigan dont le grand chef Swachan avait été au cours du mois de juillet visiter George Washington à son quartier général de Cambridge. 

    La maison Carrier-Couture,  Benedict Arnold a rencontré Ignace Couture en arrivant à Pointe-Lévy le 7 novembre 1775

    Maison d'Ignace Couture

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Les Bostonnais atteignent Pointe-Lévy

    L’avant-garde des Bostonnais arriva à Pointe-Lévy dans la nuit du 7 novembre. Arnold suivit[6] de peu tandis que le reste de la troupe les rejoignit avec des canots les jours suivants. Mathias Ogden décrivit l’état dans lequel se trouvaient alors ses compagnons : ‘’Le total (de notre armée) ne dépasse pas six cents hommes, peu équipés pour combattre, la plupart d’entre nous manquons de vêtements, un bon nombre vont nu-pieds, presque sans munitions, et l’hiver qui approche à grand pas ».[7] De son côté, quelques jours auparavant, Isaac Senter écrivit dans quelle condition ils étaient apparus aux habitants en arrivant à Sartigan : ‘’Voir un bon nombre de créatures si affamées, ayant l’air plus des fantômes que des hommes, sortant de la grande brousse, des armes à la main, fut le spectacle le plus renversant qu’ils avaient jamais vu.’’ Finalement, George Morison, fut très bref  : ‘’…(ils) ressemblaient plus à des fantômes qu’à des hommes’’.[8] Au début de l’été 1759,  les habitants de Pointe-Lévy avaient vu le général Wolfe arriver devant Québec avec une armée de 7 000  soldats appuyée de 18 000 marins.[9] Un sérieux doute n’a pu lors que de s’installer dans l’esprit du peuple, et même chez les téméraires et les audacieux qui jonglaient encore à l’idée de prendre les armes avec les Bostonnais pour libérer le pays. 

    Une relation d’affaire vient rencontrer Arnold à Pointe-Lévy

    Arnold avait antérieurement voyagé par mer jusqu’à Québec pour acheter du blé. Il avait traité avec John Mercer et John Halsted, deux commerçants qui avaient épousé la cause des patriotes. Halsted  était natif du New Jersey. Quand Mercer fut emprisonné le 29 octobre, Halsted s’enfuit alors à l’Ile d’Orléans. Dès qu’il apprit l’arrivée d’Arnold,  il s’empressa de traverser à Pointe-Lévy, prit contact, et entraîna Arnold au moulin de Caldwell à  la rivière à Scie. Halsted connaissaient bien ce moulin car Caldwell lui en avait donné le mandat pour l’administrer. Arnold en fit son quartier-général. Le 12 novembre, dimanche de la Saint-Martin, alors que la troupe s’apprêtait à traverser le Saint-Laurent,  les Bostonnais furent invités à un ‘’fine ball’’ et ils en profitèrent pour boire et s’y amuser en observant les Canadiens danser au son du violon.[10] Le 13 novembre, en soirée, Arnold donna l’ordre de traverser le Saint-Laurent. Le 28 novembre, il en appela à ses « vieux amis » de Pointe-Lévy demandant aux Canadiens de la rive-sud ‘’d’empêcher’’ toute sorte d’approvisionnement ou de fourrage  d’être acheminé à la garnison de Québec. Pendant l’hiver qui suivit, pas un seul canot ne traversa à Québec y porter des vivres.[11] Le premier décembre, Arnold fit jonction avec les 300 hommes de l’armée du Nord du brigadier Montgomery. Québec fut mis en état de siège. Les Bostonnais contrôlaient toute la province, sauf la ville de Québec. Le 31 décembre, à 4 heures du matin, les quelques 1 000 soldats continentaux auxquels s’ajoutaient quelque 150 Canadiens attaquèrent les 1 800 défenseurs de Québec, bien retranchés dans la place forte. L’opération fut un lamentable échec : Montgomery fut tué, Arnold blessé, et 370 soldats furent faits prisonniers.

    L’hiver à Pointe-Lévy

    Durant l’hiver, les Bostonnais utilisèrent le moulin de la rivière à Scie comme quartier pour la collecte de denrées et de bois de chauffage. Les hommes de Pointe-Lévy transportaient les provisions en voiture sur le fleuve gelé. Les Bostonnais payaient en dollars des Colonies-Unies. Des jeunes gens furent engagés pour servir à la batterie de canons  mise en place pour bombarder la ville. Une douzaine de miliciens se rendirent à la Pointe-à-la-Caille (Montmagny) pour faire feu contre un parti de royalistes canadiens. Le 5 mai, avec l’arrivée dans le port de 5 navires anglais,  le siège fut levé. La déroute commençait.  Le 1er juillet, il ne restait plus une seule compagnie continentale sur le sol du Québec.  Les dollars des Colonies-Unies que les Canadiens conservaient ne seraient plus jamais d’aucune utilité. Ils pouvaient même servir comme preuves de collaboration avec l’ennemi.

    Billet de $20 issu par le Congrès de Philadelphie

    Monnaie continentale

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    (Fin du Numéro 239 - Début du numéro 140 )  

    Résumé : Lors d’une assemblée tumultueuse à Pointe-Lévy en septembre 1775, plus d’un millier d’habitants de la rive-sud avaient chassé les officiers chargés de les enrôler pour aller prendre position en Beauce afin faire échec à une invasion des révolutionnaires américains. Le corps expéditionnaire commandé par Benedict Arnold arriva à Pointe-Lévy sans opposition au début de novembre. Fin décembre, l’attaque contre Québec échoua. Le pays fut occupé pendant l’hiver. En mai 1776, l’arrivée dans le port de Québec de 5 navires anglais força les ‘’rebels’’ venus de Boston à fuir en déroute. 

    Une commission d’enquête pour identifier ceux qui avaient aidé les rebelles pendant l’invasion

    Deux semaines après la fuite des Bostonnais, Carleton voulut faire le partage entre les ‘’boucs’’ et des ‘’agneaux’’ durant l’occupation. Il créa une commission pour  enquêter dans les 53 paroisses du district de Québec [12] et nomma 3 commissaires, dont  Gabriel-Elzéar Taschereau, seigneur de Nouvelle-Beauce et colonel des milices francophones de Québec. Du 22 mai au 16 juillet, les commissaires dressèrent dans chaque paroisse un procès-verbal dans lequel ils notaient les personnes aptes pour l’avenir à servir la cause du Roy et ceux qui en étaient indignes. À chaque fois, ils commençaient les assemblées par la lecture de leurs commissions, puis continuaient par des harangues « … pour faire connaître la soumission envers le Souverain, l’indignation des fidèles sujets contre ceux qui ont aidé les ‘’rebels’’, et (pour) donner ordre au capitaine (de milice) de faire un rôle exact de sa compagnie et d’y distinguer les âges au-dessus de 55 ans à 60 et de 15 à 55… » [13] Ils passaient par la suite en revue tous les hommes présents qui, tout en applaudissant, devaient crier trois fois « Vive le Roy ». C’était pour les jeunes une façon abrégée de prononcer le serment d’allégeance, et pour les autres de le renouveler. 

    Dans le procès-verbal de Saint-Vallier, on peut y voir que l’assemblée de Pointe-Lévy, dont James Jeffrey avait parlé dans son journal, avait eu lieu ‘’chez Jean Guay’’. On constate dans ce procès-verbal qu’une majorité des habitants de Berthier jusqu’à Pointe-Lévy étaient présents, en majorité armes à la main. D’autre part, le procès-verbal de Pointe-Lévy indique que la paroisse avait été: « généralement séditieuse et opposée aux ordres du gouvernement en un mot zélée et affectionnée au parti des rebels ».[14] Les commissaires avaient commencé l’assemblée en congédiant les officiers de milice devenus ‘’indignes’’ parce qu’ils s’étaient révélés coupables de mauvaise conduite. Ce fut le sort de Joseph Lambert, Joseph Samson et Baptiste Bégin. Ils indiquèrent enfin les simples miliciens qui s’étaient compromis, dont ceux qui avaient convoqué les compagnies de milice des paroisses de la rive-sud :

    « Les dénommés ci-après furent les plus mutins et les plus séditieux  dans l’assemblée tumultueuse qui se fit ici l’automne dernier. Lorsque le gouvernement envoya des officiers pour inviter cette paroisse à se ranger sous l’étendard du Roy, ils furent et envoyèrent inviter les habitants des paroisses voisines de se joindre à eux, pour s’opposer aux démarches du gouvernement et ils montèrent la garde jusqu’à l’arrivée des rebels. 

    Augustin Allé, père, Fanchon Carrier, Barras Lecours, Charles Guay, Charles Leguay dit Lenoir, Ambroise Lecours, le fils de Jeannot Guay, Ignace Couture. »[15] 

     

    ''Chez Jean Guay'', dans la partie ouest du Parc régional de Pointe de la Martinière 

    '' Chez Jean Guay'' dans la partie ouest du Parc régional de la Pointe de la Martinière''

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     ''Chez Jean Guay'' en 1827, et les 9 bâtiments figurant sur la carte de l'hydrographe Henry W. Bayfield 

     À Pointe-Lévy le 11 septembre 1775, mutinerie et sédition au début de la révolution américaine

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Une poignée de personnes liées par leur origine terrienne, par le sang ou par les alliances

     Il se trouve que tous ces ‘’mutins et séditieux’’ étaient liés par leurs origines terriennes, par le sang ou par leurs alliances. Trois terres ancestrales ont retenu notre attention, situées de part et d’autre du chemin [16] qui séparait la seigneurie de Lauzon et le fief de la Martinière.

    Maison de pierre sur la terre ancestrale des Carrier, à Pointe de la Martinière 

    Carrier terre, maison Martinière

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    La terre ancestrale des Carrier se trouvait située à 4,5  arpents à l’est de ce chemin,  Le chemin traversait en plein centre la terre des Lecours. Une autre terre située à 4,5 arpents vers l’ouest était celle des héritiers de Jean Guay (1695-1756), capitaine de milice et cabaretier avant 1750. 

    Ceux qui étaient nés sur ces terres :

    • François (Fanchon) Carrier (1705-82), père de Véronique Carrier, épouse en seconde noces d’Ignace Couture
    • Ambroise Lecours (1721 - ?),  marié à Marie-Geneviève Carrier, beau-frère de François (Fanchon) Carrier
    • Michel Lecours (1720-98), frère d’Ambroise Lecours
    • Charles Guay, Charles LeGuay, fils et petit-fils de Jean Guay
    • Le fils de Jeannot Guay, probablement Jean Guay, frère de Charles Guay

    Ceux  qui étaient rattachés par alliance :

    • Augustin Hallé (1710-98) marié à Catherine Carrier, cousine de François (Fanchon) Carrier et tante d’Ignace Couture
    • Ignace Couture (1737-1815) marié à Véronique Carrier, fille de François (Fanchon) Carrier.

    François Carrier avait alors 70 ans, Augustin Hallé 65 ans, les deux Lecours suivaient dans la cinquantaine, le plus jeune semble avoir été Ignace Couture, 38 ans. Par ailleurs, François Carrier était le frère de Marie-Anne Carrier (1700-81), veuve de Jean Guay. La réputation du cabaret de ce dernier était telle qu’un demi-siècle après son décès, le capitaine de milice Augustin Labadie écrivait ‘’chez Jean Guay’’ pour désigner non pas une maison ou une terre, mais plutôt, une ''place'', un repère côtier bordant le Saint-Laurent, en amont immédiat de Pointe-de-la-Martinière.[17]  

    Des reines de Hongrie

    Dans les procès verbaux, les commissaires avaient indiqué, pour certaines paroisses,  le nom de femmes qui tenaient des assemblées, faisaient des discours et allaient de maison en maison pour plaider la cause des Américains. A Saint-Pierre, I.O.,  Marguerite Noël fut qualifiée de ‘’reine de Hongrie’’,  une référence à la reine Marie-Thérèse de Hongrie.[18]  À Saint-Vallier, on prêta ce même surnom à Marie-Basilice Corriveau, en ajoutant :   « Pour mieux parvenir à son but détestable, elle leur faisait boire des liqueurs fortes. »[19] Y a-t-il eu à Pointe-Lévy des femmes qui auraient pu mériter la mention ?  C’est une possibilité.  Marie-Anne, Marie-Geneviève, Catherine ou Véronique Carrier[20], autant de femmes qui  devaient refuser de voir un père, un mari ou un fils donner sa vie pour un Roi qui, une quinzaine d’années auparavant, avait permis à ses troupes de mettre le pays à feu et à sang, et soumis la population aux plus grandes privations.

    Marie-Thérèse, reine de Hongrie

    Marie-Thérèse, reine de Hongrie

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Les sanctions

    La mutinerie et la sédition ont toujours été considérées comme des offenses majeures à l’égard de l’autorité établie. Les sanctions imposées allaient du fouet à la pendaison. Contrairement à la coutume de l’époque, les dénonciations ne furent pas suivies de procès. Carleton y alla de façon plus subtile. Il décréta des ordonnances pour rendre le service de milice obligatoire. Il obligea le service gratuit  pour toutes sortes de corvées. Quand les gens refusaient, il les faisait mettre en prison. Dans son journal, Simon Sanguinet, bien que loyaliste, a précisé: «  On envoyait même des troupes à discrétion dans leurs maisons, qui tuaient les moutons, veaux, volailles et, même souvent volaient leur hardes – tout cela était autorisé, et le général Carleton à qui l’on portait des plaintes, souffrait tout cela sans y mettre aucunes oppositions.  Si les Canadiens ont montré de la mauvaise disposition à prendre les armes contre les Bostonnais en 1775, ils l’ont bien payé par les mauvais traitements qu’ils ont reçus depuis ».[21] 

    Le Québec occupé par des régiments de mercenaires allemands

    L’Angleterre avait loué dans les principautés allemandes les services d’une quinzaine de régiments formés de mercenaires. De 1776 à 1884, ce fut un mouvement continuel de détachements militaires dans toutes les paroisses de la rive-sud. Des postes furent construits à Tilly, Saint-Nicolas, Pointe-Lévy, Saint-Michel, également en Beauce . En 1777, Carleton fut rappelé à Londres et  remplacé par Frederick Haldimand, élevé en Suisse francophone, catholique par surcroît. Il avait gagné ses galons lors de la guerre de la Conquête.

    La situation en 1779

    Citant le sergent James Thompson, l’historien J.-Edmond Roy a rapporté ceci : «  1779 – novembre – Le régiment d’Anhalt-Zerbst traverse à la Pointe-Lévy pour prendre ses quartiers d’hiver dans les paroisses d’en bas. Les habitants de la Pointe-Lévy reçoivent ordre de fournir du bois de construction : Pointe Lévy 1re  compagnie, 208 pièces,  2e  compagnie 468 pièces, Saint-Henri, 420 pièces.[22]

    En ce même mois de novembre, l’abbé Jean-Jacques Berthiaume était curé de Pointe-Lévy. Joseph Samson (1725-1804), son voisin, occupait une terre de 5 arpents située immédiatement à l’ouest de l’église et du presbytère. Samson avait été emprisonné pour avoir voulu résister aux lourdes corvées que l’on exigeait de lui. Voici l’essentiel  de la lettre que le curé Berthiaume adressa en novembre 1779 à Robert Mathews, secrétaire du gouverneur Haldimand, pour plaider la libération de son voisin.

    Monsieur,

    J’ai l’honneur de vous saluer et de vous assurer de mes très humbles respects. Je vous écris pour vous supplier de vous intéresser en faveur d’un de mes paroissiens, Joseph Samson, mon voisin qu’on a fait mettre en prison pou peu de choses selon moi…je ne l’ai jamais vu se rebeller aux ordres du gouvernement… il a toujours été chargé des troupes du gouvernement et dans sa maison, et dans sa grange et quoiqu’une bonne partie de sa terre soit encore occupée au service du Roy pour du bois de chauffage et des voiturages. Il a encore fourni sa quotte part des pièces (de bois) ordonnées par le capitaine de milice qui lui ordonnait de donner des draps à trois soldats qu’il loge encore aujourd’hui; je n’ai point entendu la dispute mais plusieurs m’ont assuré qu’il ne demandait autre chose si non qu’on ne lui donna que deux soldats…Voilà le fait, et je supplie votre Bonté de vouloir bien par charité pour sa pauvre femme restée seule avec des enfants exposée à l’insulte des soldats qui l’outragèrent encore hier dans leur boisson et pour moi-même qui en suis peiné pour eux. Je supplie dis-je votre Bonté de vouloir bien demander à Son Excellence monsieur le Général la grâce et l’élargissement de cet honnête homme afin qu’il puisse vaquer à ses travaux qui sont restés là depuis qu’on le retient en prison.

    J’espère que vous aurez regard à ma supplication et je suis avec le respect dû à votre seigneurie.

    Monsieur, Votre obéissant serviteur,

    BERTHIAUME, Prêtre.[23]

    La famille Guay-Samson

    L’épouse de Joseph Samson était Marguerite Guay, fille de Jean Guay, cabaretier-capitaine de milice mentionné auparavant, et de Marie-Anne Carrier,  nièce de François (Fanchon) Carrier. En 1779, six enfants étaient nés du mariage Guay-Samson : Agathe, Joseph, François, Louis-Gaspard, Marguerite et Jean-Baptiste. L’ainée avait 22 ans, le cadet en avait 5. 

    Une chapelle sous la protection de Sainte-Anne

     Le 7 juin 1789, en présence du curé Berthiaume, Joseph Samson donna à la fabrique de Pointe-Lévy un terrain de 900 pi.c. en bordure du chemin du Roy à la ligne ouest de sa propriété « pour y construire une chapelle en l’honneur de Sainte-Anne »,  mère de la Vierge Marie.[24]

    La chapelle Sainte-Anne (1789)

    Chapelle Sainte-Anne

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il s’était passé 10 ans depuis la supplique du curé de Pointe-Lévy pour obtenir la libération de son voisin. Un des témoins appelé à signer l’acte était Pierre-Bernard Lagueux, époux d’Agathe Samson,  la fille aînée de Marguerite Guay et Joseph Samson. Il est probable que c'est Agathe Samson qui, dans le secret du confessionnal, avait été trouver le curé Berthiaume pour plaider la cause de son papa, emprisonné. À quelques pas de l’église de Lauzon se trouve aujourd’hui une grande maison ancestrale qui fut occupée successivement jusqu’en 1984 par des générations de la famille Lagueux. Une recherche poussée viendrait-elle révéler qu’il s’agit ici de l’habitation occupée par la famille Guay-Samson lors calamités de l’automne 1779 ? C’est bien possible.

    La maison Samson-Lagueux, à quelque pas de l'église de Saint-Joseph de la Pointe-Lévy

    Maison Lagueux, à quelques pas de l'église de Saint-Joseph de la Pointe-Lévy

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Conclusion

    Les événements survenus à Pointe-Lévy au début de la révolution américaine ont été suivis de conséquences sérieuses et graves pour ceux qui s’étaient compromis ouvertement dans l’opposition au rétablissement des compagnies de milice sur la rive-sud du Saint-Laurent. Pendant 7 ans, ils furent contraints de loger des mercenaires allemands et de d’exécuter toutes sortes de corvées. Nous connaissons la gravité des violences qui ont été commises dans la maison de Joseph Samson en son absence. Nous ne saurons probablement jamais celles commises chez les Carrier, les Guay, les Hallé, et les Lecours, tous conjointement identifiés pour cause de mutinerie et de sédition lors de l’assemblée tumultueuse du 11 septembre 1775.  Pour répondre aux volontés du curé Berthiaume et celle des Samson, les paroissiens de Pointe-Lévy ont accepté de placer leur village sous la protection de la bonne « Sainte-Anne », mère de la Vierge Marie, et ils ont construit une chapelle qui a jusqu’ici survécue aux intempéries pendant plus de deux siècles.

    Épilogue 

    Dans le numéro 17 de La Seigneurie de Lauzon (Printemps-1985), sous le titre ‘’La Pointe-de-la-Martinière et son histoire’’,  l’éditeur publiait  l’extrait d’une requête que j’avais présentée au ministre des Affaires culturelles de l’époque pour demander d’accorder un statut à la Pointe de la Martinière afin de contrer l’intention des gouvernements d’y venir construire un parc industrialo-portuaire. J’y avais abordé divers thèmes, dont ceux concernant le cabaretier Jean Guay et Joseph Samson. Trente ans plus tard, l’idée de faire le point m’est venue à la lecture du livre de l’auteur américain Mark R Anderson :    ''The Battle for the Fourteenth Colony ‘'  1774-1776 . Une thèse maintenant devenue incontournable. 

    http://yvanm.eklablog.com/la-pointe-de-la-martiniere-et-son-histoire-1985-a126495490 


    [1] Jeffrey, James. Journal Kept in Quebec in 1775 by James Jeffrey. Historical Collections of the Essex Institute 50, (April 14) : p. 135

    [2] Voir note 1. Sartigan, village des indiens Abénaquis, aujourd’hui Saint-Georges.

    [3] Roy, Yvan-M. Le système de communication optique de l’Ancien Canada. La Seigneurie de Lauzon, vol 35, Automne 1989.

    [4] Cadrin, Gaston. Les excommuniés de Saint-Michel-de-Bellechasse au XXVIIIe siècle, Les Éditions GID, Québec 2015, p 276.

    [5] Rapport Baby, Taschereau, Williams, dans Rapport de l’archiviste du Québec, 1927-28, p. 475

    [6] L’auteur a connu trois porteurs de tradition dans sa famille, Léon Roy, Pierre Roy, et Marcel Roy. Ce dernier,  chaque fois qu’il évoquait la révolution américaine,  ne manquait jamais de préciser ‘’Quand les Américains sont arrivés, Arnold a couché dans la maison Plante’’.  Par  la suite de conclure :  ‘’Là, on est passé à deux cheveux d’être Américains’’.  La maison Plante est désignée aujourd’hui sous le nom de maison Carrier-Couture. Ignace Couture en devint propriétaire à l’occasion de son mariage (19.10.1761) avec Véronique Carrier, veuve d’Ignace Carrier.  

    [7] Mathias Ogden, Journal, 7 novembre 1775, Morristown National Historical Park, Mossirtown, New Jersey.

    [8] George Morison, Journal , in Roberts, ed. March to Québec, p. 531

    [9]  La flotte dirigée par l’amiral Charles Saunders comprenait 49 navires de guerre, 76 transports et 152 bateaux de dé­barquement. Elle portait près de 2.000 bouches à feu. Les vaisseaux de guerre étaient montés de 13.000 hommes d'équipage et les transports d'envi­ron 5.000. Québec était donc menacé par un formidable armement de 125 vaisseaux, sans compter la flottille de 152 embarcations légères et de près de 25.000 soldats et marins.

    http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/encyclopedia/CharlesSaunders.html

    [10] John Pierce Journal, Roberts, March to Quebec, 674

    [11] Anderson, Mark R., The Battle for the Fourteenth Colony, University Press of New England 2013, Lebannon, N.H., p. 166

    [12] Sur la rive-nord de St-Ferréol à Cap-de-la-Madeleine, sur la rive-sud de Bécancour à Kamouraska, sans oublier l’Île d’Orléans.

    [13] Rapport Baby, Taschereau, Williams,  dans Rapport de l’Archiviste du Québec, 1927-28, p. 434

    [14] Voir note 2, p. 475

    [15] Voir note 2, p. 474. Et ajout p. 475 : "Presque tous les habitants montèrent la garde l'automne passé avant l'arrivée des Bostonnais pour s'opposer aux démarches qu'auraient pu faire la garnison de Québec''

    [16] Aujourd’hui, la route Lallemand.

    [17]  Augustin Labadie écrivit dans son journal, le 18 avril 1808, à propos du brigantin  Le Triton qui s’était aventuré prématurément devant Québec :  « …il a rencontré les glaces à la voile devant Mme Bégin (Anse Bégin) et il a été obligé de dériver dans les glaces jusque chez Jean Guay, sur le sable a resté à cette place jusqu’au mardi l’après-midi. » J.-Ed. Roy, Histoire de la Seigneurie de Lauzon, vol. 3, p. 407.  

    [18]  Marie-Thérèse, reine de Hongrie, avait fait preuve de très grande énergie pour protéger ses  droits héréditaires à l’occasion de la guerre de la succession d’Autriche (1740-1747).

    [19] Voir note 2, p 480

    [20] Véronique Carrier était mariée en première noce à Ignace Carrier. Pendant l’été 1759, Véronique, étant enceinte,  avait trouvé refuge Nouvelle-Beauce avec ses enfants. Ignace fut probablement tué alors qu’il se trouvait en mission pour observer les activités au camp anglais de Pointe-Lévy. Ignace est mort le 2 septembre 1759, un jour avant que les 8 000 hommes de l’armée anglaise se regroupent  à Pointe-Lévy,  10 jours avant la bataille des Plaies d’Abraham.

    [21] Sanguinet, Simon. Journal de M. Sanguinet, Témoin occulaire de la guerre des Bastonnois en Canada

         p. 146    -    http://static.torontopubliclibrary.ca/da/pdfs/37131055454110d.pdf

    [22] J.-Edmond Roy, Histoire de la Seigneurie de Lauzon, vol 3, p. 71

    [23] J.-Edmond Roy, Histoire de la Seigneurie de Lauzon, vol 3, p. 72

    [24] Témoins à l’acte, Étienne Bégin, capitaine de milice, Pierre Nolin, syndic de la chapelle, Jean-Baptiste Bégin, Marguiller en charge, et Pierre-Bernard Lagueux, époux d’Agathe Samson. Histoire de la Seigneurie de Lauzon, vol 3, p. 219


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