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La Pointe-de-la-Martinière et son histoire (1985)
La Pointe-de-la-Martinière et son histoire
Par Yvan-M. Roy
(Publié dans la revue de la Société d’histoire régionale de Lévis, Vol 17, Printemps 1985)
Note : Le texte qui suit est extrait d’une requête adressée par l’auteur au ministre des Affaires culturelles concernant le statut de l’Anse-des-Sauvages et la Pointe-de-la-Martinière à Lauzon. Nous remercions M. Roy qui nous a autorisés à reproduire le partie proprement historique du document. - Georges-Étienne Proulx, prés.
1. La Pointe-de-la-Martinière et la présence amérindienne
Le tiers du territoire (appx. 4 000 000 pi.c.) regroupé pour l’occasion sous le toponyme de la ‘’Pointe-de-la-Martinière’’ appartient de fait à l’Anse Guilmour, auparavant Indian Cove, et Anse-des-Sauvages. La Pointe et l’Anse ainsi désignées sont le prolongement d’Arlaca, ancien campement amérindien. Champlain identifia clairement un endroit d’importance où s’établissaient à la saison ses alliés Etchemins dont il avait exploré le pays atlantique à ses voyages précédents (1) (2) (3).
2. La Pointe-de-la-Martinière, clef de la défense de Québec
Champlain apprit probablement des Etchemins l’importance qu’il fallait accorder aux pointes avancées qui deviendront plus tard le Cap-Lévy et la Pointe-de-la-Martinière. Champlain et le gouverneur D’Avaugour successivement recommandèrent d’ériger sur la rive-droite des fortifications pour barrer le passage de la rivière à l’ennemi. (4) L’ingénieur Levasseur de Néré érigea, vers 1702 deux batteries de canon à la Pointe-de-Lévy, possiblement au Cap Samson, dans la partie ouest de l’Anse-aux-Sauvages (5) (6). Montcalm voulut ériger à la Pointe-de-Lévy, toponyme qui désignait toute la rive de Beaumont jusqu’à la rivière Chaudière, des retranchements pour loger plus de 4 000 hommes; il en fut empêché par Vaudreuil. Au début de notre siècle, quand fut constatée la désuétude de fortifications de Québec, les ingénieurs canadiens choisirent la Pointe-de-la-Martinière pour y construire à quelque distance l’une de l’autre deux longues casemates souterraines. Elles furent armées chacune de deux canons de 7,5 pouces, pouvant atteindre la cible avec précision à 15 milles de distance. L’armée canadienne avait réussi à barrer complètement le passage du fleuve à l’ennemi, comme l’avaient souhaité les premiers chefs militaires du Canada. Ces ouvrages ont incroyablement bien résisté à l’usure du temps. Le Fort d’en haut, à la Pointe, est maintenant accessible au grand public durant l’été.
3. Le peuplement blanc (euro-canadien)
Le Cap-Lévy, l’Anse-des-Sauvages et la la Pointe-de-la-Martinière sont le point de départ du peuplement euro-canadien sur la rive-droite du Saint-Laurent. Une des terres de la Pointe, caractérisée par la présence d’un bâtiment centenaire imposant, d’une entreprise agricole prospère, et de deux sites de vestiges archéologiques, est à la plus ancienne des terres en culture sur la rive-droite du fleuve (7) (8) (9). Concédée en 1666, onze générations de Canadiens et de Québécois, issues de l’ancêtre Jean Carrier, l’ont occupée jusqu’à nous (10).
4. Le premier chemin objet de litige
L’historien Joseph-Edmond Roy, co-fondateur du Bulletin des recherches historiques, fondateur de la Revue du notariat, ancien président de la Société de géographie de Québec et de la Société royale du Canada, ex-archiviste-adjoint du gouvernement fédéral, identifia dans l’Anse-des-Sauvages le premier chemin du Canada ayant fait en 1667 l’objet d’un litige et d’un arrêt devant la justice royale. Jean Carrier et Louis Gesseron dit Brûlot, son voisin, figuraient parmi les 16 requérants (11).
5. La libération de Louis-Jolliet
La nomination de Jean Carrier fils, le 22 avril 1733, à titre de ‘’patron de chaloupe’’ et ‘’messager du Roy’’ au service de l’intendant, et du général des armées (12), n’est pas étrangère à la libération de Louis-Jolliet, explorateur du Mississippi, le 25 octobre 1690, à la hauteur de la Pointe-de-la-Martinière (13). À cette occasion, les occupants d’une habitation riveraine mirent à la disposition des deux négociateurs de Phipps, en l’occurrence la belle-mère et l’épouse de Jolliet, une embarcation pour leur permettre d’aller porter à Frontenac les termes et les conditions de l’amiral anglais pour réaliser l’échange du célèbre prisonnier (14).
6. Un poste de guet : les feux nocturnes
Il existait autrefois un système de communication par feux nocturnes entre le Bic (Rimouski) et la Pointe-de-Lévy. Les capitaines de milice des paroisses voisines de la rive droite étaient chargées de l’entretien de ces feux. La Pointe-de-la-Martinière était un des principaux maillons de la chaîne des feux. L’ancienne localisation de certaines habitations aujourd’hui disparues indique que leurs habitants avaient un rôle particulier à jouer dans ce système. Ce moyen rapide de transmettre les nouvelles urgentes nous est connu par les événements de 1744, 1759 et 1776 (15) (16) (17).
7. Une patrie de marins
Avant l’effondrement de la flotte maritime québécoise, l’Anse-des-Sauvages et la Pointe-de-la-Martinière furent des patries de marins. Ces marins sont déjà entrés dans le légende (18) (19).
En 1690, Jean Guay et une équipe de huit hommes relèvent devant Québec l’ancre et le câble du Six Friends, navire amiral de la flotte anglaise partie de Boston pour capturer Québec (20). À l’automne de 1710, un groupe de l’endroit guidé par Charles Lecours, Charles Brûlot et Charles Carrier loue un ‘’charroi’’ et sa chaloupe pour se rendre à la rivière Sainte-Anne jusqu’au printemps suivant (21). En 1733, Jean Carrier, frère du précédent, devient le plus célèbre patron de chaloupe du pays tandis que Charles Lecours se voit reconnaître le rôle de porte-parole des pilotes côtiers dans leur requête auprès des autorités pour obtenir une reconnaissance officielle (22). À bord du brigantin l’Expérience, Charles Lecours et son fils piloteront Louis Fornel dans sa découverte à la Baie des Esquimaux durant l’été 1743 (23). Entre 1833 et 1845, Louis Brûlot, capitaine au long cours, était propriétaire du Gaspé Packet, goélette (schooner) de 60 pieds jaugeant 60 tonneaux. Il naviguait de Québec à la côte nord, et de là traversait l’Atlantique pour se rendre en France. Son port favori semble avoir été celui de l’île Jersey (îles Anglo-Normandes), dont la capitale est Saint-Hélier. C’est de là qu’il a rapporta trois horloges grand-père, dont deux existent encore dans divers foyers de Lauzon. Ambroise Brulotte, son fils, navigua sous les ordres du capitaine Joseph-Elzéar Bernier. M. François-Xavier Brulotte, écrivain autodidacte signe son premier livre en 1983 à l’âge de 72 ans. Conteur émérite, il parle des événements survenus il y a plus de 150 ans. Monsieur Brulotte conserve précieusement une maquette du Gaspé Packet, ouvrage réalisé au siècle dernier par un des membres de sa famille (24).
8. Quartier général des milices de la Côte-du-Sud
Le quartier général des milices de la Côte-du-Sud, soit l’équivalent d’un régiment, était situé à l’Anse-des-Sauvages, chez Jean Guay. Le 27 juin 1759, Jean-Baptiste Carrier, capitaine de milice de la Pointe-de-Lévy, faisait transmettre au quartier-général de Québec, les nouvelles concernant l’avance de la flotte ennemie (25). Deux jours plus tard, en compagnie du seigneur Charest, d’une quarantaine de miliciens et d’un groupes d’indiens, Carrier interdisait du matin jusqu’au soir l’avance de troupes d’élite faisant corps parmi une des meilleures armées d’Europe (26). On pouvait compter parmi ces régiments 682 montagnards écossais du 79e Fraser Highlanders. Vers le 1er novembre 1775 eut lieu chez Jean Guay de l’Anse-des-Sauvages une assemblée ‘’séditieuse’’ à laquelle assistèrent la majorité des miliciens de la Côte-du-Sud. Un complot formé autour des familles Carrier, Guay et Lecours visa deux choses : 1) étouffer les appels aux armes du gouverneur Carleton qui voulait enrégimenter les Canadiens contre les troupes du Congrès, 2) organiser la garde dans toutes les paroisses pour favoriser sur la Côte-du-Sud l’arrivée du corps expéditionnaire conduit le long de la Kennebec et de la rivière Chaudière par le général des troupes du Congrès Bénédict Arnold. Devant la lenteur d’Arnold, des émissaires de la milice de la Pointe-de-Lévy, conduits par Ignace Couture, furent dépêchés au devant du général américain pour le prier d’arriver à la Pointe-de-Lévy au plus tôt. À l’hiver de 1776, les gardes de la milice canadienne rebelle furent montés au Sault Montmorency, au Bout-de-l’Ile et à la Pointe-de-Lévy. Durant le mois de mars, le gouverneur Carleton réussit à lever, dans la région de Kamouraska, un parti de royalistes canadiens qui avait pour mission de détruire la garde de Pointe-de-Lévy. Plus de la moitié des miliciens qui quittèrent la Pointe-de-Lévy pour aller défaire le parti de royalistes le 26 mars 1776 à la Rivière-du-Sud appartenaient à la famille Carrier. Un certain Lévesque, des côtes d’en bas, se signala par les textes qu’il rédigea à l’intention des Canadiens ‘’rebels’’ (27).
9. Les mercenaires allemands
Le ruisseau Lallemand, traversant la Pointe-de-la-Martinière (28) garde le souvenir de la répression qui s’abattit sur la ‘’paroisse séditieuse, opposée aux ordres du Roy, en un mot zélée et très affectionnée au parti des rebels’’ (29). La Pointe-Lévy comptait alors près de deux cents familles. Deux, parfois trois soldats allemands furent logés en garnison dans chacun des foyers de la Pointe-Lévy durant la période de 1776 à 1784 (30).
Avec raison, des auteurs contemporains ont rétabli les faits et les écarts de conduite commis à cette époque pr les officiers allemands à Saint-Nicolas, paroisse voisine de Saint-Joseph-de-la-Pointe-de-Lévy (31). Malheureusement, ils ont oublié de relever la pathétique lettre que le curé Berthiaume de Saint-Joseph adressait au secrétaire Mathews pour obtenir la libération de son voisin Joseph Samson. Dénonçant l’emprisonnement arbitraire, le curé plaida le fait que son voisin n’avait été que requérant, au nom de sa famille et au nom de toute la paroisse, auprès de l’officier responsable, pour dénoncer les accablements de toutes sortes (32). Pour justifier et hâter la libération de Samson, le curé avise le gouverneur que les soldats ont pris l’habitude, en l’absence du maître de la maison, d’abuser de l’épouse à la connaissance des enfants. Autant de témoins nous indiquent qu’il ne s’agissait pas de chantage comme ce fut le cas dans la région de Montréal.
Cinq ans après le départ des Allemands, Joseph Samson cédait le 7 juin 1789 un emplacement à la fabrique de Saint-Joseph pour l’érection d’une chapelle (33). Le curé Bethiaume obtint de l’évêque la faveur de placer cette dernière sous la protection de Sainte-Anne, ‘’en reconnaissance des grâces que sa puissante intercession a procurées de tout temps aux fidèles du diocèse’’. Cette chapelle fut reconnue il y a quelques années par la Commission des biens culturels du Québec : malheureusement, l’étât actuel de cette bâtisse est lamentable. Par ailleurs, M. François-Xavier Brulotte parle dans son langage coloré du ruisseau de Lallemand sous le toponyme de ‘’ruisseau des Allemands’’. Il y a cent ans, Joseph-Edmond Roy écrivait que la Seigneurie de Lauzon était bornée à l’est par la petite rivière des Aulnes. On peut considérer aujourd’hui la route Lallemand comme la plus ancienne limite officielle de la Seigneurie de Lauzon (34).
10. L’auberge de Jean-Baptiste Guay
Une branche de la famille Guay tenait cabaret sous le régime français au centre de l’Anse-des-Sauvages, face au paysage enchanteur du Bout-de-l’île, de la chute Montmorency, du basin de Québec, de la côte de Beauport et des montagnes Laurentides. L’attrait principal pouvait être le coucher du soleil miroitant dans le fleuve avant de disparaître derrière la chaîne de montagnes Aujourd’hui, à la Pointe-de-la-Martinière, la maison de l’aubergiste Jean-Baptiste Guay est conservée par son descendant M. Paul Guay. Ce dernier garde précieusement l’enseigne de son aïeul où sont peints ‘’sapin’’ et ‘’bouchon’’, indices qui révélaient au voyageurs du régime français la présence d’un cabaretier ayant obtenu permis de fournir ‘’gite’’ et ‘’boissons’’. Au 19e siècle, existait un endroit désigné pour le largage du lest au large de la Pointe. Les officiers étrangers profitaient de cette halte pour fréquenter l’auberge de Jean-Baptiste Guay (35) (36) (37).
11. Pierre-Georges Roy à la Pointe-de-la-Martinière
Au début du siècle, une célébration de nature patrimoniale marqua l’arrivée de la famille de l’archiviste Pierre-Georges Roy à la Pointe-de-la-Martinière. Autorités civiles et religieuses, notaires, arpenteurs, marchands, etc., témoignèrent à l’acte conservé aujourd’hui dans les minutes du notaire François-Xavier Couillard. (38). Parmi les huit notaires présents, ce dernier représentait la plus ancienne famille du pays; ce fut donc lui qui fut chargé de conserver l’acte. Un des premiers invité à signer à titre de témoin fut J.-A. Carrier, régistrateur de Lévis, dont les ancêtres s’étaient illustrés lors des événements de 1837-38, 1775-76, 1759-63 et 1690 (39).
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