• Lévis, le 15 juillet 2010

     

     

    Mme Julie Tremblay, directrice adjointe

    Urbanisme et arrondissements

    Ville de Lévis

    996. rue de la Concorde

    G6W 5M6

     

    Objet : Pré-consultation, Ilot Saint-Louis

    ___________________________

     

     

    Madame,

     

    La présente a pour objet de compléter mes observations suite à la soirée de pré-consultation publique du 22 juin dernier concernant le projet du promoteur Pierre Trottier, à l’îlot Saint-Louis, dans l’arrondissement Desjardins.

     

    Résumé de mon intervention lors de la soirée :

     

    À l’ilot Saint-Louis, il y a trois considérations majeures que la ville de Lévis doit envisager :

     

    -          l’intérêt du demandeur de permis

    -          l’intérêt des finances de la ville

    -          l’intérêt public indiquant préservation du Vieux-Lévis 

     

    La question que j’ai soulevée lors de la réunion est une reprise de l’interrogation que j’avais posée dans Le Soleil du 14 juillet 1987 concernant l’insertion d’immeubles à grand gabarit à la Traverse, un des principaux secteurs du Vieux-Lévis :             ‘’Comment est-il possible de se prononcer sur la hauteur, la taille et l’apparence des édifices projetés, en respectant le concept de la libre entreprise et en gardant comme objectif final le respect des valeurs fondamentales qui font la richesse de notre vie régionale ?’’

     

    Le pour et le contre

    Le positif du projet Trottier est une valorisation de l’îlot Saint-Louis par l’ajout de commerces de proximité et par un apport important en termes de logements. Le négatif est que la hauteur, la taille et l’apparence attaquent le caractère fondamental du Vieux-Lévis.

     

    Traitement équitable, justice et équité

    Les promoteurs intéressés au développement dans le Vieux-Lévis doivent être soumis au même traitement que les particuliers qui présentent une demande un permis pour leurs résidences. C’est une question de justice et d’équité.

     

    Personnellement, depuis 5 ans, j’ai présenté deux permis pour la rénovation d’autant de résidences, l’une rue Wolfe, l’autre Côte-du-Passage. Dans les deux cas, les interventions extérieures devaient strictement être en conformité du caractère patrimonial des immeubles environnants. Dans le premier cas, j’ai du faire valoir mon projet devant le comité consultatif, dans le second, je me suis engagé par écrit à rénover la fenestration et la toiture en respectant le plan soumis par l’architecte de la ville.

     

     

     

     

    Conclusion :

     

    Afin d’assurer la préservation du caractère patrimonial du Vieux-Lévis, le service d’urbanisme de la ville doit :

     

    PROPOSER au conseil un moratoire jusqu’à l’adoption d’un plan particulier d’urbanisme (PPU) pour le secteur du Vieux-Lévis afin que les promoteurs puissent connaître clairement les ‘’tenants et aboutissants’’ de ce secteur hautement patrimonial et pour que cesse le régime du ‘’cas par cas’’.

     

    À DEFAUT,    1) maintenir le statuquo actuel de 4 étages inscrit dans la réglementation;

     

    2) limiter chacun des bâtiments nouveaux à la taille des Halles Notre-Dame et du Manège militaire;

     

    2) accorder des permis pour la construction d’immeubles qui par leur architecture, matériaux et apparence viendront renforcer le caractère des Halles Notre-Dame et du Manège militaire. Modèles d’intégration à suivre, le gymnase du Couvent Marcelle Mallet, à éviter, le gymnase du Collège de Lévis. À considérer :  l’hôtel Saint-Antoine dans le Vieux-Port de Québec .

     

     

    Je suis le dossier de l’aménagement et de l’urbanisme à Lévis depuis plus de 40 ans. Je vous prie de considérer la présente comme une opinion basée sur le respect et la mise en valeur du quartier patrimonial Vieux-Lévis.

     

    En vous remerciant de votre attention, je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments les meilleurs,

     

      

    Yvan-M. Roy, avocat à la retraite

     

    P.s. : Transmis électroniquement

     


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  • Par Yvan Roy

    Le Soleil, 9 avril 1964

    Note: Premier article de l'auteur alors agé de 17 ans. Publié en plein coeur de la Révolution tranquille, l'auteur invite l'honorable Jean Lesage à créer une loterie provinciale afin de financer la mission sociale de l'État. LOTO-QUÉBEC fut créée en 1969 sous l'hon Jean-Jacques Bertrand. En 2010, LOTO-QUEBEC a célébré son 40e anniversaire en déclarant un bénéfice net de $1,3 milliards sur un revenu de $ 3,8 milliards.

     Cher monsieur,

    Dernièrement, on pouvait constater la chance de plusieurs canadiens qui ont encaissé $ 1 020,000 grâce à des billets de la loterie irlandaise. Une fois de plus, M. l'Éditeur, je veux m'objecter comme nombre d'autres à la circulation de tels billets en territoire canadien. Ce n'est pas parce que j'envie ceux qui ont gagné que je vous écris, mais plutôt que je voudrais instruire mes concitoyens sur une injustice grave, évidente qui pourrait être rémédiée par nos politiciens.

    L'injustice dont je fais mention ici, c'est le départ pour l'étranger d'une somme considérable de dollars canadiens dont nous ne reverrons jamais la couleur. En plus, nous n'en verrons jamais les bénéfices.

    La Loterie Nationale Irlandaise est en soi une oeuvre de charité qui ne peut que procurer un énorme bien à nos chers frères d'outre-mer. En effet, nous leur procurons des services médicaux, nous leur construisons des hôpitaux. Cependant, ici au Canada, nous ne pouvons profiter de notre argent dépensé à cette oeuvre.

    Tandis que les Irlandais dépensent quelques dollars, soit pour gagner le gros lot, soit pour recevoir les services des hôpitaux, nous Canadiens ne retirons qu'une part du gros lot, et ne recevons rien des hopitaux.

    Qu'attendent donc nos politiciens pour remédier à cela et protéger nos intérêts ?

    Deux solutions se présentent: Soit empêcher formellement la circulation de tels billets (ce qui est sensé se faire présentement), soit établir une telle loterie, à l'échelle provinciale ou nationale.

    Les avantages retirés seraient ceci: le dollar canadien resterait en territoire canadien et plusieurs problèmes comme l'éducation, les hôpitaux seraient subventionnés grandement.

    À monsieur le premier ministre l'hon. Jean Lesage, qui sûrement s'intéresse à l'opinion de ses électeurs, je suggère d'en discuter avec le fédéral et les provinces. Je suis sûr que l'hon Lesage serait intéressé à une loterie provinciale étant donné les énormes dépenses occasionnées par l'institution de la gratuité au stage "scolaire"  et "médical".

    Pour terminer, je dirai que la création d'une loterie chez nous empêcherait notre dollar de s'envoler outre frontière et qu'il serait ainsi le gage d'une sécurité sociale en plus d'être profitable à ceux qui aiment la fortune rapide.

    Au plaisir de constater bientôt une telle réalisation.

    Yvan Roy, 101 Wolfe, Lévis.

     


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  • L’ÉPARGNE OUVRIÈRE À LÉVIS AVANT 1900, ET LES PIONNIERS OUBLIÉS DE NOTRE HISTOIRE ÉCONOMIQUE

      Par Yvan-M. Roy       (La Seigneurie de Lauzon, No 98, Été 2005)

     Nous avons déjà présenté l’histoire de quelques anciennes sociétés mutuelles1 qui offraient aux ouvriers de Lévis des secours en cas d’accident, de maladie ou de décès. Notre projet serait incomplet sans présenter une histoire de l’épargne ouvrière dans la ville qui a vu naître la première société coopérative d’épargne et de crédit en sol nord-américain. L’article qui suit précise quand, comment et par qui l’épargne ouvrière a débuté à Lévis. On y découvre le « chaînon manquant » qui nous rattache aux pionniers canadiens de l’épargne ouvrière.

     Au début, la société « Aide-toi, le ciel t’aidera » 

     C’est bien en 1900 à Lévis que la coopération en tant que principe d’entraide a pris racine en Amérique du Nord. Toutefois, l’idée d’entraide n’était pas nouvelle. À Montréal, en 1834, l’éditeur Ludger Duvernay avait fondé une association du nom de société « Aide-toi, le ciel t’aidera ». La principale réalisation de cette société fut d’organiser la première fête de la Saint-Jean-Baptiste avec l’objet de regrouper les Canadiens d’origine française autour d’objectifs communs. Les troubles politiques de 1837-38 au Bas-Canada mirent un frein aux activités de la jeune société. Comme l’élite de Montréal s’était compromise dans la rébellion, le mouvement fut relancé à Québec en 1842 alors qu’un groupe de citoyens « bien en vue » prit la relève pour célébrer la Saint-Jean. L’année suivante, Montréal reprenait les célébrations. Le petit peuple « sans histoire » relevait la tête.

     La Caisse d’épargne de Québec et les épargnes du pauvre ouvrier 

     À ses débuts, la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec comptait le docteur Olivier Robitaille comme secrétaire-trésorier. Le 21 mai 1848, Robitaille et quelques amis2 de la Société Saint-Vincent-de-Paul fondèrent la Caisse d’épargne de Notre-Dame de Québec. De 1849 à 1855, Robitaille présida la caisse et François Vézina3, jeune comptable de Québec, fut secrétaire-trésorier. Le but de la caisse était la création d’ « un établissement de bienfaisance destiné à recevoir les épargnes du pauvre ouvrier et à développer chez les classes laborieuses le goût de l’économie. »4 En 1855, Caisse d’épargne fut incorporée sous le nom Caisse d’économie de Notre-Dame de Québec. Robitaille et Vézina furent continués dans leurs fonctions. 

    La Société de construction de Québec 

    D’autre part, Olivier Robitaille occupait depuis 1849 la vice-présidence de la Société de construction de Québec, une société d’épargne et de prêt immobilier. En 1852, François Vézina recommanda la création d’une nouvelle entreprise sous le nom de Société de construction permanente de Québec. Contrairement à la première société, la seconde offrait à ses actionnaires une vie corporative à durée indéterminée.

    La Banque Nationale 

    De par ses statuts, la Caisse d’économie de Notre-Dame ne pouvait répondre aux besoins des affaires. Un groupe d’hommes influents forma alors le projet d’une banque pour répondre aux besoins du commerce et de l’industrie. En 1860 le groupe fonda la Banque Nationale qui débuta ses opérations5 présidée par Oliver Robitaille et dirigée par François Vézina.6 Le lecteur aura remarqué que François Vézina était le gestionnaire principal des trois institutions que le peuple de Québec s’était données pour venir en aide aux pauvres, aux ouvriers, aux commerçants et industriels francophones. En 2002, l’historien Serge Goudreault écrit : « François Vézina participe donc à toutes les luttes pour doter le milieu d’affaires francophone de la ville de Québec d’institutions indispensables à sa progression. »7

     Le Saint-Laurent et les épargnes du pauvre, du riche et de l’ouvrier aisé 

    Avec l’arrivée du chemin de fer en 1854, Lévis était devenu un important centre d’immigration, de commerce et d’industrie. Toutefois, il n’y avait là à cette époque aucun comptoir bancaire. La population était captive des institutions situées à Québec et la classe des commerçants et industriels devait traverser le Saint-Laurent pour bénéficier des services financiers. Les principales banques de Québec étaient sous le contrôle du capital anglo-saxon.

    Dans l’édition du Canadien du 16 mars 1853, un citoyen de Lévis8 avait pour la première fois réclamé un comptoir bancaire. En 1858, Léon Roy, notaire à Lévis, prit l’initiative de faire circuler et transmettre à la Caisse d’Économie de Québec une requête signée par « les bons citoyens de Lévis ». On y demandait l’établissement d’une succursale à Lévis. La réponse9 de la Caisse d’économie parvint au notaire Roy sous la plume de François Vézina :

    Caisse d’économie de Notre-Dame de Québec,  8 septembre 1858

    Léon Roy, écuyer, N.P. , Notre-Dame de Lévis

    Monsieur,

    La requête de Monsieur Déziel et autres, au sujet d’une succursale de  la Caisse D'économie dans votre paroisse a été soumise devant le Bureau des Directeurs. Messieurs les Directeurs me prient de vous transmettre leurs sincères remerciements.

    Ils eussent été heureux de faire un nouvel effort de philanthropie dans votre paroisse pour y propager l'esprit de prévoyance et d'économie, mais ayant des doutes sur la légalité pour eux, d'établir une succursale, ils regrettent infiniment d'être forcés de décliner votre demande.   

    Ils ne voient qu’un moyen de faire réussir votre profit, et voici comment :

     M. le curé et quelques autres personnes avec lui pourraient se rendre responsables envers les déposants, et la Caisse d’Économie pourrait recevoir de ces Messieurs, et en leurs noms toutes sommes qui seraient apportées, et pour lesquelles la Caisse allouerait le plus d’intérêt possible.

     La responsabilité que ces messieurs prendraient ne serait pas bien grande, vu que vous avez l’intention de ne prendre que des petits dépôts des pauvres : le riche ou l’ouvrier aisé pouvant toujours traverser le fleuve pour se rendre à la Caisse d’économie.

     J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre humble serviteur.

    F. Vézina, sec.-trés.             C.E.N.D.

    Nouvelle demande 

     Ce n’était évidemment pas la réponse attendue. Le 1er mai 186410, les citoyens revinrent à la charge, curé Déziel en tête, en demandant aux conseillers de Lévis d’autoriser Léon Roy, secrétaire-trésorier de la ville, à ouvrir une caisse d’économie « pour favoriser la classe ouvrière ».11 La requête n’eut pas de suite, toujours encore vraisemblablement pour des raisons de légalité. Les ouvriers de Lévis continuèrent alors à pratiquer l’épargne « du bas de laine ».

     La Caisse d'économie de Notre-Dame et les petites économies du travailleur de Lévis 

     Finalement, le 18 mai 1868, la Caisse d’économie de Notre-Dame de Québec ouvrit une succursale à Lévis. Lors du discours d’ouverture, le caissier (directeur) François Vézina décrivit la nature et les buts de la caisse, ainsi que les bénéfices que le modeste travailleur pouvait espérer en déposant des économies à l’institution financière :

     « Ces caisses d’épargnes ne sont pas, à proprement parler, des institutions de crédit; elles n’ont pas mission de fournir un capital à ceux qui en sont momentanément privés, mais bien de faciliter l’accumulation du travail, d’encourager l’économie, de réunir les plus petites épargnes pour les transformer en un capital productif. Tout travailleur, si modeste que soit la rémunération de ses efforts, peut et doit même aux prix de certaines privations, mettre en réserve, une fois ou autre, une partie de ses profits afin de se former un fonds auquel il puisse recourir en cas de chômage, d’accident ou de maladie…elles (les caisses d’épargnes) recueillent ces petites économies du travailleur qui accumulées avec celles de beaucoup d’autres, forment un grand capital qui profite avantageusement pour le déposant et augmente ainsi ses moyens d’existence…Telle est l’action de la Caisse d’économie de Notre Dame de Québec, fondée en (21) mai 1848. »12 

     La Société de construction permanente de Lévis 

     L’année suivante, le 27 avril 1869, Léon Roy fondait la Société de construction permanente de Lévis sur le modèle de la Société de construction permanente de Québec. La moitié des 141 actionnaires fondateurs était des ouvriers exerçant dans une trentaine de métiers.13 Le projet collectif d’épargne visait un objectif de 76 800$, un montant actualisé à 4,5 millions en dollars 2005.

     En moins de 10 ans, la société de construction devint le principal prêteur immobilier de Lévis. Au cours des ans, des centaines d’ouvriers apprirent les vertus de l’épargne et purent se bâtir maisons grâce aux prêts de la société. En 1879, l’actif était de 128 000 $14, un montant qui permettait la construction ou le financement d’environ 150 maisons d’ouvriers.

     La Caisse d’économie de Québec affichait en 1876 un actif de 3 000 000 $, soit près de 175 000 000 $ en dollars courants. Les fonds que la Caisse d’économie récoltait à Lévis n’étaient pas systématiquement réinvestis localement. Les épargnes déposées à la Société de construction permanente de Lévis profitaient directement à la communauté de Lévis. C’était l’application stricte du principe de l’épargne locale (ouvrière) mise au profit des intérêts (ouvriers) locaux.

     Léon Roy et les premiers visionnaires du Québec moderne 

      À l’époque où il étudiait le droit chez le notaire Joseph Laurin15 de Québec, Léon Roy était membre de la Caisse d’économie de Saint-Roch. En 1850, son nom figure comme membre fondateur de la Société de construction de Québec16. C’est là qu’il fit probablement la connaissance de François Vézina. Léon Roy fut admis au notariat en mai 1852. En 1853, en ouvrant son étude à Lévis, le jeune notaire s’engagea dans le développement de la communauté où il occupa les fonctions suivantes : secrétaire de la municipalité scolaire d’Aubigny (1854), premier secrétaire-trésorier de Lévis (paroisse-1855), premier secrétaire de la conférence Saint-Vincent-de-Paul (1856), premier secrétaire-trésorier de Lévis (ville-1861). Lorsqu’en 1869 il fonda la Société de construction permanente de Lévis, Léon Roy y transportait l’esprit d’entraide et d’initiative des visionnaires de Montréal et de Québec, les Duvernay, Laurin, Robitaille et Vézina. L’histoire a pratiquement oublié ces piliers de notre organisation économique.

     Le chaînon manquant qui rattache la Caisse populaire de Lévis à la Caisse d'épargne de Notre-Dame de Québec

     En 1870, Léon Roy engagea Théophile Carrier, jeune diplômé du cours commercial du Collège de Lévis, pour tenir la comptabilité de la Société de construction permanente de Lévis. En décembre 1886, Roy étant décédé, Carrier succéda comme secrétaire-trésorier.17 En 1889, Alphonse Desjardins devint actionnaire et administrateur de la Société de construction permanente de Lévis. En 1896, Desjardins quitta la société après avoir essuyé deux échecs aux élections du conseil.18 Nés à Lévis tous deux en 1854 à un mois d’intervalle, Desjardins et Carrier s’étaient côtoyés sur les bancs de l’école primaire et ceux du cours commercial au collège local.

     Le 6 décembre 1900, en étant le premier civil à signer les statuts de la Caisse populaire de Lévis, Théophile Carrier acceptait de mettre ses 30 années d’expérience du milieu bancaire au profit de la première société coopérative d’épargne et de crédit du continent nord-américain. Dans les temps héroïques (1901-1906) de la première caisse, Carrier fut gérant substitut lors des absences prolongées de M. Desjardins, supervisant ainsi le travail de l’unique employée, Dorimène Desjardins. De 1902 à 1932, il siégea à la présidence de la commission de crédit.

     Bref, le grand mérite de Théophile Carrier est d’avoir accepté de mettre la connaissance et l’expérience qu’il avait de l’épargne ouvrière au service d’un projet aux aspects tout à fait révolutionnaires. Pour cette raison, nous considérons que Théophile Carrier est ce « chaînon manquant » qui rattache Alphonse Desjardins aux piliers oubliés de l’épargne ouvrière en milieu francophone canadien, les Olivier Robitaille, François Vézina et Léon Roy.

     Notes 

      

         1) Voir La Seigneurie de Lauzon, nos 64, 67, 68, 69, 79, 89 et Revue du Notariat, février 1997. (Note de la SHRL : Les articles publiés dans La Seigneurie de Lauzon par M. Roy seront reproduits dans le site Web de la SHRL.)

       2) Dont Jean Chabot, F.-X. Méthot, P. Dorion, François Vézina, A.-B. Sirois, F. Bois, D. Dussault et A. Amyot.

       3)  En 1840, Vézina gradua avec Joseph Painchaud au Petit Séminaire de Québec. Painchaud alla étudier la médecine à Paris. Au retour, il contribua à fonder neuf conférences de la Société-Saint-Vincent-de-Paul, un organisme caritatif d'origine parisienne fondée quelques années auparavant et dont les buts étaient de soulager la misère des pauvres et des déshérités.

       4)François Vézina, Caissier de la Banque Nationale, par J.-C. Langelier, C. Darveau, Québec, 1876, p.7

       5) Le premier comptoir de la Banque Nationale(BN) était logé dans l’édifice de la Caisse d’Économie, 1, rue Saint-Jean.

        6) Le tandem dirigea la BN pendant 20 ans. En 2004, la BN avait un actif de 89$ milliards.

        7) Les premières sociétés de prêt hypothécaire de la ville de Québec (1849-1873), Serge Goudreau, Groupe de recherches sur l’histoire des institutions financières, http://www.callisto.si.usherb.

        8) Dans une note manuscrite dont nous avons pris connaissance, l’historien Joseph-Edmond Roy (1858-1913) affirme qu’il s’agit de Léon Roy (1824-1886), son père.

        9) Transcription manuscrite par Joseph-Edmond Roy, non publiée.

      10) Dans le calendrier liturgique romain, le 1er mai est la fête dédiée à Saint-Joseph, ouvrier.

      11) Dates Lévisiennes, P.-G. Roy, Lévis, 1932, Vol. 1, p. 186

      12) François Vézina, Caissier de la Banque Nationale, par J.-C. Langelier, C. Darveau, Québec, 1876, p.15

      13) Quatre femmes et six enfants mineurs faisaient également partie du nombre.

      14) Soit 7 425 000 $ en dollars courants.

       15) En 1847, le notaire Joseph Laurin avait initié la première loi sur le notariat canadien. 

       16) Le 27 mars 1850, Roy avait fait un premier dépôt de 1 shilling pour l’acquisition de la 364e action de la Société de construction de Québec. Carnet de dépôt en notre possession où figurent les inscriptions portant les initiales WK (William Kimlin) et FV (François Vézina) 

      17) Carrier demeura à cette fonction jusqu’à la liquidation de la société en 1910.

      18) Procès-verbaux, assemblées générales, Société de construction permanente de Lévis, 28 mai 1894, 25 mai 1896.


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  • Avant propos :  En 1873, il n’y avait que deux institutions financières ayant place d’affaire à Lévis, soit la Caisse d’économie de Notre-Dame de Québec installée près des traversiers en 1868 et la Société de construction permanente de Lévis fondée en 1869. Un article publié le lundi 5 mai 1873 dans l’Écho de Lévis[1] nous renseigne sur les arguments retenus par l’institution de Lévis pour s’adresser au peuple, et plus particulièrement aux ouvriers, afin de favoriser l’épargne. L’extrait qui suit se doit d’être attribué à Léon Roy, notaire, fondateur de la Société de construction permanente de Lévis.

     

    (Extrait intégral tiré de l’Écho de Lévis)

     

    La Société de construction permanente de Lévis (1873)

     

    Léon Roy, secrétaire-trésorier

    L’Écho de Lévis, 5 mai 1873

     

    « Nous publions[2] dans une autre colonne le quatrième rapport annuel de cette société, et le public peut voir d’après ce rapport que la société est entrée dans une voie très prospère, où elle continuera bien certainement de s’avancer sous la sage et habile direction du bureau[3] qui préside à son administration.

     

    Le cercle des opérations de la société n’est pas encore très étendu, cependant, vu le peu de temps qui s’est écoulé depuis le jour où elle a commencé à exister, elle a produit des résultats très satisfaisants et promet d’être en état d’offrir avant longtemps, au public, tous les avantages et toutes les garanties que présentent les autres sociétés du même genre, plus puissantes et plus anciennes.

     

    Généralement, on n’apprécie pas suffisamment les avantages qu’offrent les sociétés du genre de la Société de construction permanente de Lévis, et grand nombre d’ouvriers croient qu’ils n’en peuvent tirer aucun profit. C’est là une grave erreur dont ils sont dupes les premiers. Il serait asses facile à un ouvrier sobre, laborieux et économe surtout pour celui qui entre en ménage, de mettre de côté quelques piastres par mois, de prendre une ou deux parts à la société de bâtisse[4], et au bout de dix ou douze ans, quand il pense à faire instruire ses enfants, ou à leur faire apprendre un métier, il serait en état de pourvoir à leur éducation et à leur entretien, même de les établir sans s’en apercevoir, pour ainsi dire.

     

    Ce que nous disons ici de l’ouvrier peut également s’appliquer à toutes les classes de la société, aux personnes d’une fortune indépendante, hommes de profession, cultivateurs, artisans, serviteurs, etc., tous peuvent insensiblement et avec facilité se créer un petit capital, qui leur sera ensuite de la plus grande utilité. Cela est également vrai du marchand, du commerçant qui croient communément que ces sociétés sont pour leur argent un mauvais placement, et ils n’auraient raison si nous disions qu’ils doivent mettre tous leurs fonds. Mais c’est là un moyen d’avoir en réserve un certain capital, sur lequel ils pourront compter en tout temps et qu’ils auront accumulé sans que leur commerce en ait aucunement souffert. Ceci est pour ceux qui veulent mettre leur argent en sûreté et le faire profiter d’une manière sûre et profitable.

     

    Quant à ceux qui désirent emprunter, ils trouvent aussi l’avantage de pouvoir obtenir au moyen d’une garantie raisonnable une somme qui leur permet d’acquérir des maisons ou autres propriétés, et surtout l’avantage, en quelque sorte inappréciable, de rembourser ce montant par petits versements périodiques pendant un certain laps de temps. Tous ceux qui en font fait l’essai s’en sont bien trouvés.

     

    Que l’on se prive un peu, que l’on fasse quelques économies afin de prendre une ou deux parts[5] à la société de bâtisse et ce sera pour l’ouvrier un encouragement au travail, une consolation de savoir qu’au bout de quelques années, il sera en état d’établir sa famille, ou de lui laisser un petit capital qui la mettra à l’abri de la misère ».

    (Fin de l’extrait)

     

    Tiré du procès-verbal de l’assemblée annuelle de 1884 :

     

    Cette année elle (la société) aura à payer la somme de $ 13 468.00 répartie entre 36 ½ actions, faisant $ 369.00 par action, donnant un intérêt de 8 %. Les Directeurs n’espéraient certainement pas arriver à un résultat aussi rémunératif, au delà même de toutes institutions financières dans le District de Québec.

     

     

    ÉPILOGUE (Par Yvan-M. Roy)  Première conclusion : Le « petit capital » d’un ouvrier qui, en 1873, aurait souscrit une action de 400 $ [6] dans la société se serait élevé dix ans plus tard à 769 $ [7]. C’est la première conclusion qui s’impose à la lecture du Rapport annuel de la société pour l’année 1884 :

     

               

                                                          Seconde conclusion : À cette époque, grâce à ses administrateurs, la Société de construction permanente de Lévis surpassait les institutions financières du grand Québec.

     

     

    Ajout : Les notes de bas de page sont d’Yvan-M. Roy, 20 décembre 2010.



    [1] De 1872 à 1876, Alphonse Desjardins était à l'emploi de l’Écho de Lévis. En mai 1873, lors de la parution de l'article en cause, Desjardins était agé de 18 ans. Il est possible que Desjardins ait joué un rôle dans la publication de cet article. Toutefois, il n'était pas un fervent mutualiste puisque ce n’est qu’en 1889 qu’il  prendra  la décision de souscrire une part dans le fonds de la Société de construction permanente de Lévis. Il se qualifia pour siéger au  ‘’bureau de direction’’ en compagnie de Théophile Carrier, son compagnon au collège de Lévis. Il retira son action en 1896 après avoir essuyé deux échecs aux élections du conseil (1894 & 1896)

    [2] Poitras & Cie, Propriétaires-Éditeurs, journal hebdomadaire avec entête : ‘’Journal politique, littéraire, commercial, industriel et agricole’’ et ‘’Le travail, l’économie et la pratique de bonnes mœurs élèvent le peuple et lui procurent le bien-être et la prospérité’’

    [3] Thomas Dunn, président, François Bertrand, vice-président,  Georges Carrier, Jos-Cyrille Hamel, Edouard Lemieux, Jean-Baptiste Michaud, Étienne Samson, administrateurs; Léon Roy, secrétaire-trésorier. (Théophile Carrier, tenue des livres)

    [4] Calque de l’anglais : “Building Society”

    [5] Le Quatrième rapport annuel de 1873 donne les informations suivantes : 410 actions (parts) sont émises d’une valeur de $ 400.00 chacune, durant l’exercice 1872-73, et un total de $ 9 548.00 a été prêté aux actionnaires ) (actualisé en 2010 à $ 2 400 000 ).

    [6] Soit 120 paiements de $ 3.33  par mois, pendant 10 ans.

    [7] Vers 1870, un ouvrier spécialisé gagnait $300 par année et pouvait acquérir une maison et son terrain pour environ 600 $.


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  • Me J.-EDMOND ROY, NOTAIRE, LA SOCIÉTÉ DE CONSTRUCTION PERMANENTE DE LÉVIS ET ALPHONSE DESJARDINS

     

    Par Me Yvan-M. Roy, avocat

    La Revue du Notariat, Vol. 99, Janvier 1997

     

    AVANT-PROPOS

     

    Jusqu’à aujourd’hui, l’histoire nous a enseigné que, avant de fonder sa première Caisse populaire d’épargne et de crédit, Alphonse Desjardins connaissait peu de choses sur la pratique courante des affaires bancaires. Ses connaissances auraient été principalement de nature théorique. Les faits que nous avons relevés renversent le courant historique actuel. Ils prouvent que le fondateur du Mouvement Desjardins s’est d’abord exercé à la pratique bancaire nord-américaine avant de verser dans l’étude de la théorie coopérative européenne. De 1892 à 1895 *, Alphonse Desjardins avait participé aux décisions courantes du Conseil d’administration de la Société de construction permanente de Lévis, une société mutuelle d’épargne et de crédit conseillée par Joseph-Edmond Roy, notaire, et fondée en 1869 par son père, Léon Roy, également notaire, suivant les lois du Bas-Canada. Notre enquête a démontré clairement que le Mouvement Desjardins a des racines qui s’enfoncent profondément dans l’expérience bancaire nord-américaine.

     

    * Voir en fin de texte la note qui vient remplacer ces dates ainsi:  ''De 1889 à 1894 ...

     

    INTRODUCTION

     

    Le 6 décembre 1900, Alphonse Desjardins fondait à Lévis la première des caisses coopératives d’épargne et de crédit du Mouvement Desjardins. Quelles étaient alors les connaissances du fondateur sur la pratique courante des affaires bancaires ? C’est dans les opérations d’une société mutuelle d’épargne et de crédit fondée à Lévis en 1869 que nous avons trouvé la réponse à cette question.

     

    A partir de 1890, L’Indicateur de Québec et Lévis publia chaque année le nom des personnes qui se trouvaient à la tête des sociétés et corporations des deux villes. Ainsi, pendant trois ans, soit de 1892 à 1895, L’Indicateur laisse voir qu’Alphonse Desjardins était membre du conseil d’administration de la Société de construction permanente de Lévis, Joseph-Edmond Roy, notaire, y était conseiller juridique.

     

    La Société de construction permanente de Lévis était une entreprise à capital-actions. Les quatre buts principaux étaient d’aider ses membres à « acquérir une propriété », à « libérer leurs dettes », à « recevoir d’avance le montant de leurs actions » moyennant bonne garantie, et à fournir les moyens de « placer de petites sommes d’argent » de manière sûre et rémunératrice. La Société avait un comptoir, elle encaissait et prêtait des sommes d’argent. La Société effectuait ainsi les principales opérations qui se trouvent à la base de l’activité bancaire.

     


     

    LES SOCIÉTÉS DE CONSTRUCTION

     

    Les premières sociétés de construction d’Amérique virent le jour aux États-Unis vers 1830. La première société de construction du Canada débuta ses opérations à Montréal en 1845. La Société de construction permanente de Lévis fut fondée en avril 1869. le fondateur et premier secrétaire-trésorier fut Léon Roy, notaire.[1] Pendant de nombreuses années, le gouvernement du Canada encouragea le développement de ces sociétés à caractère mutualiste parce qu’elles prêtaient au peuple. Les banques avaient la triste réputation de ne prêter qu’aux riches.

     

    LE CONSEIL DE 1892 À 1895

     

    De 1892 à 1895, la composition du Conseil d’administration de la Société de construction permanente de Lévis demeura inchangée. Le Conseil était ainsi formé : président : Narcisse Lacerte, médecin; vice-président : Édouard Goulet, marchand-épicier; administrateurs : Alphonse Desjardins, sténographe; J.-Alphonse Dumontier, notaire; Jean Turgeon, maître-maçon; Joseph Verreault, marchand-épicier; David Roy, maître-menuisier; secrétaire-trésorier : Théophile Carrier, comptable. Le conseiller juridique de la Société était Joseph-Edmond Roy, notaire.

     

    PRÊTS ET ACTES D’ADMINISTRATION D’AVRIL 1892 À MARS 1895

     

    Les prêts accordés ar la Société étaient toujours garantis par des sûretés, soit mobilières, soit immobilières. En consultant le greffe du notaire Roy, nous avons fait un relevé des opérations bancaires portées à l’attention du Conseil d’administration pendant la période où Alphonse Desjardins paricipa aux décisions. Ainsi, d’avril 1892 à mars 1895, nous avons retracé 54 prêts.

     

    CAPITAUX PRÊTÉS, TAUX D’INTÉRÊTS ET DURÉE DES PRÊTS

     

    Pendant les trois exercices observés, les prêts ont totalisé la somme de 19 050 $, pour une moyenne de 6 350 $ par année. Le plus petit prêt fut de 100 $ ; le plus important fut de 4 000 $. Pour 53 prêts, le taux d’intérêt fut de 12%, calculé mensuellement. Pour un seul prêt, l’intérêt s’écarta de la norme et fut de 10%. Il s’agissait d’un montant de 4 000 $ prêté le 24 octobre 1893 à Charles Castonguay, marchand, pour un terme de 10 ans.[2]

     

    La durée des prêts s’échelonna entre un an et dix ans, pour une moyenne de six ans. Ainsi, pour une majorité, ces prêts couraient encore lorsque fut fondée la Caisse populaire de Lévis en décembre 1900.

     

    LE COMPTOIR ET LE BUREAU

     

    Les versements mensuels étaient dus le premier lundi du mois. Les emprunteurs se rendaient au comptoir de la Société, au 9, rue Wolfe, où ils faisaient leurs remises au trésorier Théophile Carrier.[3] L’historien Pierre-Georges Roy a raconté que, en ces lundis, le trésorier était souvent débordé.[4]

     

    ORIGINE SOCIALE DES EMPRUNTEURS

     

    Notre enquête révèle que les emprunteurs en grande majorité appartenaient à la classe ouvrière. En effet, 80% étaient des cols bleus exerçant l’un des métiers suivants : boucher, boulanger, charretier, chauffeur, cordonnier, couvreur, employé de chemin de fer, forgeron, gardien de nuit, journalier, laitier, menuisier, mouleur, pâtissier et tailleur de pierre.

     

    Quant aux autres, ils occupaient diverses fonctions reliées au commerce ou à l’industrie : armateur, capitaine, entrepreneur en chemins de fer, entrepreneur de pompes funèbres, maître-charretier, maître-maçon, maître-menuisier et marchand de bois.

     

    STRUCTURE DES PRÊTS

     

    Le 9 mai 1893, Georges Royer, journalier, emprunta 100 $.[5] Royer s’engagea à faire 60 versements mensuels égaux et consécutifs de 2,17 $. À la fin des 5 ans, la somme totale remboursée, capital et intérêts, devait être de 130,20 $. Le coût en intérêts pour la durée du prêt était de 30,20 $, soir une moyenne de 6,04 $ par année, pour un montant initial de 100 $. Telle était la structure normale des prêts.

     

    DE FUTURS ADMINISTRATEURS POUR LA PREMIÈRE CAISSE POPULAIRE

     

    Le 6 juillet 1893, Louis-Joseph Roberge, marchand, emprunta 1 000 $ à 12% pour une période de 5 ans.[6] Le 12 janvier 1895, Thomas Powers, entrepreneur en chemins de fer, emprunta 700 $ à 12% pour une période de six ans.[7] Roberge et Powers figurent sur la liste des membres fondateurs de la Caisse populaire de Lévis. Ils souscrivirent 5 parts sociales chacun. Roberge fit partie de la première commission de crédit. Il a déjà été établi que le secrétaire-trésorier Théophile Carrier présida la commission de crédit de la première Caisse pendant 30 ans et qu’il fut le bras droit d’Alphonse Desjardins.[8] De 1892 à 1895, Joseph Verreault avait siégé au conseil avec Alphonse Desjardins. En 1900, Verreault fut élu au Conseil d’administration de la première Caisse populaire où il occupa la vice-présidence jusqu’au décès d’Alphonse Desjardins, survenu en 1920. Il succéda alors à Desjardins à la présidence de la Caisse.

     

    PORTÉE TERRITORIALE DES GARANTIES

     

    Les actes d’obligation font voir que les emprunteurs résidaient pour la majorité dans les quartiers Notre-Dame, Saint-Laurent et Lauzon de la ville de Lévis. En banlieue, la Société détenait des hypothèques sur des immeubles à Saint-Jean Chrysostome, Saint-Lambert, Saint-David et Saint-Télesphore. Nous avons constaté avec surprise que la Société avait des liens à Trois-Pistoles et à l’Isle-Verte, dans le comté de Témiscouata. La Société avait donc des intérêts qui dépassaient de loin les limites territoriales de Lévis.

     

    À L’ÉCOLE DE L’ADMINISTRATION BANCAIRE

     

    La grande variété des résolutions du Conseil pendant cette période illustre la nature des problèmes auxquels ont été confrontés les administrateurs. Le Conseil d’administration de la Société de construction permanente de Lévis fut pour Alphonse Desjardins une école qui favorisa son apprentissage de la pratique bancaire. Nos propos sont illustrés dans les paragraphes suivants.

     

    MAIN-LEVÉE ET TRANSPORT DE GARANTIE

     

    Pendant la durée d’un prêt, il arrive fréquemment que la situation d’un emprunteur évolue. Celui-ci peut prendre du retard dans ses versements, acquitter son prêt en partie ou en totalité, voire vendre l’immeuble. D’autres situations demeurent possibles, comme la destruction totale ou partielle de l’immeuble faisant l’objet de l’hypothèque. Les administrateurs devaient adopter des résolutions pour suivre l’évolution des prêts. Ainsi, le 10 décembre 1892, Louis Bégin vendit à Jean-Baptiste Beaulieu le lot 32, quartier Lauzon, à Lévis. Beaulieu assuma les obligations de l’emprunt original qui avait eu lieu le 26 mars 1886.[9] Nous illustrons la participation d’Alphonse Desjardins aux délibérations du Conseil d’administration en reproduisant la résolution qui fut votée à l’occasion de cette vente.

     

    À une assemblée spéciale de MM. les Directeurs de la Société de construction permanente de Lévis, tenue à son bureau, le 29 janvier mil huit cent quatre-vingt-treize,

     

    Étaient présents N. Lacerte, président, Jean  Turgeon, David Roy, Jos. Verreault, J.-A. Dumontier et A. Desjardins, formant quorum du bureau de direction.

     

    Il est résolu : Que main-levée d’hypothèque demandée par M. Louis Bégin sur le terrain qu’il a vendu à J.-Bte Beaulieu soit accordée, pourvu qu’il transporte en garantie la rente de trente-six piastres que lui doit le dit Beaulieu.

     

    Vraie copie,

     

    (signé) Théophile Carrier, sec-trés.

     

    QUITTANCE D’HYPOTHÈQUE

     

    Une quittance est la déclaration écrite faite par le créancier à l’intention du débiteur pour indiquer que ce dernier a rempli ses obligations. Plus d’une trentaine de quittances furent données pendant la période en cause. C’est le président et le secrétaire-trésorier qui, sur l’autorisation du Conseil d’administration, signaient et donnaient les quittances. Ainsi, le 18 mars 1893, les administrateurs autorisaient les « officiers » à donner quittance à Anselme Côté, employé du chemin de fer Intercolonial, lors d’une remise de 14 $, soit le solde d’un prêt de 150 $ consenti le 10 avril 1891.[10]

     


     

    DÉFAUTS DE PAIEMENT

     

    Comme toute société bancaire, la Société de construction permanente de Lévis fut placée devant des emprunteurs en défaut. Dans de telles situations, les administrateurs devaient réagir. Les mauvais débiteurs mettent en péril les capitaux des sociétaires. Les faits prouvent que les administrateurs de la Société étaient patients devant les emprunteurs fautifs. Nous apportons deux exemples pour illustrer ces faits.

     

    Le 18 avril 1876, Ferdinand Ouellet du village de Lauzon emprunta 150 $. L’acte d’obligation stipulait une remise de capital et intérêt de 2 $ par mois pendant une période de dix ans. Le 12 juillet 1892, 16 ans plus tard, son fils, François Ouellet, faisait remise à la Société d’un montant de 45,75 $, soit le solde du prêt plus les intérêts accumulés.[11] Depuis 1886, et probablement antérieurement, la Société était en droit de rappeler le prêt, de réaliser sa garantie, et de se payer à même le prix de vente de la propriété Ouellet. Les administrateurs avaient choisi d’attendre.

     

    Le 12 juin 1878, Zébédé Desrochers avait contracté un prêt de 200 $ dont le terme était de dix ans. Desrochers obtint sa quittance le 10 juillet 1893 lorsqu’il fit un dernier paiement de 5,20 $.[12] La Société aurait pu réaliser sa garantie dès 1888. Comme le cas précédent, les administrateurs avaient attendu pour permettre au débiteur Desrochers de rétablir ses finances personnelles.

     

    Nous avons conclu sur ce point que les décisions des administrateurs de la Société de construction permanente de Lévis étaient marquées par un réel esprit de civisme.

     

    ACTE DE VENTE ET DROIT DE RÉMÉRÉ

     

    Nous avons trouvé cependant des cas où certains emprunteurs furent placés dans l’obligation de rendre leurs propriétés. Dans pareils cas, la Société prenait possession de ses garanties en achetant la propriété hypothéquée. Par l’acte de vente, la Société accordait au propriétaire malheureux un droit de réméré par lequel il pouvait espérer  redevenir propriétaire.

     

    Par exemple, le 5 mai 1892, Paul Pomerleau vendit à la Société son immeuble du quartier Notre-Dame pour un montant de 250 $.[13] La Société lui accorda une quittance pour kes dettes antérieurement contractées. Par le même occasion, les administrateurs lui consentirent le droit de racheter sa propriété pendant une période de dix ans.

     

    La Société laissa Pomerleau occuper l’immeuble en vertu d’un bail verbal. Pomerleau fut-il mauvais locataire ? Le 31 janvier 1894, les administrateurs firent signifier à Pomerleau un avis qui mettait fin au bail en date du 1er mai suivant.[14]

     

    Par contre, le 25 avril 1892, Jean Labonté avait cédé son immeuble dans le même quartier Notre-Dame, par vente avec droit de réméré. Labonté avait trouvé du travail à Lewiston, Maine. Les administrateurs acceptèrent de rétrocéder l’immeuble par suite de l’exercice du droit de réméré.[15]

     

    PARC D’IMMEUBLES LOCATIFS

     

    Au cours des ans, la Société avait pris possession d’un certain nombre de propriétés. Les administrateurs étaient donc appelés à décider du sort de ces propriétés. Le 31 janvier 1894, le même jour où la Société avait fait signifier à Paul Pomerleau un avis pour mettre fin au bail de l’immeuble qu’il occupait, rue Fraser, elle mettait fin au bail de Louis Guay, constable domicilié rue Samson, et à celui de Thimolaius Carbonneau, journalier du village de Lauzon.[16] La Société disposait donc d’un parc d’immeubles locatifs et les administrateurs devaient en assurer la conservation et la mise en valeur.

     

    LISTE DES ACTIONNAIRES, CAPITAL-ACTIONS ET DIVIDENDE ANNUEL

     

    À chaque année, la Société publiait une liste des actionnaires. La seule liste que nous avons pu trouver est celle de 1896-1897.[17] Comme l’exercice 1896-1897 suit immédiatement l’année du départ d’Alphonse Desjardins du Conseil d’administration, nous présumons que les données de cette liste sont sensiblement les mêmes que pour les années précédentes.

     

    En 1896, les actionnaires étaient au nombre de 118. Ils détenaient un total de 282 actions d’une valeur de 400 $ chacune. Le capital-actions de la Société était donc de 112 800 $.

     

    A l’aide de cette liste et du rapport du trésorier, les administrateurs déterminaient le dividende annuel à être voté par l’Assemblée des actionnaires. À trois reprises, Desjardins fit l’exercice.

     

    DÉPART DU CONSEIL

     

    L’Assemblée générale de 1895 n’apporta qu’une seule modification au Conseil d’administration. L’avocat Charles Darveau remplaça Alphonse Desjardins. Nous avons constaté que le nom d’Alphonse Desjardins ne fugure pas sur la liste des actionnaires de 1896-1897. Que s’était-il passé ? Alphonse Desjardins avait-il encaissé les valeurs de ses actions. Pour quelle raison ? Il est possible que Desjardins ait eu un besoin d’argent à cette époque. Cependant, nous avons trouvé des indices sérieux laissant voir que le départ d’Alphonse Desjardins du Conseil d’administration de la Société de construction permanente de Lévis fut lié à l’arrivée à Lévis d’une banque des Maritimes.

     

    LA PEOPLE’S BANK OF HALIFAX

     

    En 1868, la Caisse d’économie de Notre-Dame de Québec avait ouvert une succursale dans la basse-ville de Lévis. Sauf pour l’épisode de la Merchant’s Bank en 1875, aucune banque ne s’était hasardée à concurrencer la Caisse d’économie sur une base quotidienne. Pour avoir un choix, les résidents de toute la rive droite devaient traverser à Québec. L’emprise des banques et caisses de Québec fut brisée en mai 1894 par l’arrivée à Lévis de la People’s Bank of Halifax.[18] La People’s Bank ouvrit un comptoir dans la basse-ville, près de la Traverse, à quelque distance de la succursale de la Caisse d’économie.

     

    La personne que la People’s Bank avait désignée pour diriger la succursale de Lévis était Jean Taché, déjà gérant à Fraserville, aujourd’hui Rivière du Loup. Taché conservait la gérance de la succursale de Fraserville et il avait trouvé pension à Lévis. Dans son index aux rues pour l’année 1894-1895, L’Indicateur de Québec et de Lévis fait voir le nom de deux personnes en regard du 10, rue Blanchet, à Lévis :

     

                Desjardins, Alphonse, journaliste

                Taché, Jean, gérant de la Banque du Peuple d’Halifax (r)

     

    Dans l’index aux noms, L’Indicateur donne les renseignements qui suivent concernant le gérant de banque Taché :

     

    Taché, Jean, gérant de la Banque du Peuple d’Halifax, Commerciale 133, rés. coin Guénette et Blanchet.

     

    En 1968, le nom de la rue Blanchet a été changé pour celui de Mont-Marie. La maison historique Alphonse Desjardins se trouve aujourd’hui au 8, rue Mont-Marie, au coin de Guénette et Mont-Marie.

     

    CONCLUSION

     

    Jusqu’à aujourd’hui, l’histoire nous a enseigné que, avant de fonder sa première Caisse populaire d’épargne et de crédit, Alphonse Desjardins connaissait peu de choses sur la pratique courante des affaires bancaires. Ses connaissances auraient été principalement de nature théorique. Les faits que nous avons relevés renversent le courant historique actuel. Ils prouvent que le fondateur du Mouvement Desjardins s’est d’abord exercé à la pratique bancaire nord-américaine avant de verser dans l’étude de la théorie coopérative européenne. De 1892 à 1895, Alphonse Desjardins avait participé aux décisions courantes du Conseil d’administration de la Société de construction permanente de Lévis, une société mutuelle d’épargne et de crédit conseillée par Joseph-Edmond Roy, notaire, et fondée en 1869 par son père, Léon Roy, également notaire, suivant les lois du Bas-Canada. Notre enquête a démontré clairement que le Mouvement Desjardins a des racines qui s’enfoncent profondément dans l’expérience bancaire nord-américaine.

     

    ÉPILOGUE

     

    D’après plusieurs, l’idée de réaliser un projet de coopérative d’épargne et de crédit est née chez Alphonse Desjardins au printemps de 1897 à l’occasion d’un débat à la Chambre des Communes où il occupait la fonction de sténographe. Le député Michaël Quinn (Montréal-Sainte-Marie) avait alors fait une sortie remarquée contre le phénomène de l’usure. Dans Profils Lévisiens, en 1948, l’historien Pierre-Georges Roy, un contemporain de Desjardins, avait indiqué une direction différente :

     

    ‘’Le fondateur des Caisses Populaires a probablement pris dans les règlements de la Société de construction permanente [de Lévis] l’idée de sa géniale fondation.’’ [19]

     

    Sans trancher pour l’une ou l’autre de ces deux thèses, notre étude apporte des faits jusqu’ici ignorés : avant 1897, Alphonse Desjardins était engagé profondément dans l’épargne et le crédit populaires. Alphonse Desjardins a fait ses débuts dans les affaires bancaires en 1892 à la Société de construction permanente de Lévis. En 1894, il entra en relations étroites avec le gérant de la People’s Bank of Halifax.

     

    En 1898, Adjutor Roy releva son frère Joseph-Edmond dans ses fonctions auprès de la Société de construction. Le 20 septembre 1900, Alphonse Desjardins invita chez lui quelques amis mutualistes pour leur exposer son projet d’une société coopérative d’épargne et de crédit. Un comité d’initiatives fut formé pour la rédaction des statuts. Le 25 septembre suivant, au bureau de la Société, rue Wolfe, Desjardins rencontra le président Lacerte, le trésorier Carrier, et Adjutor Roy, conseiller juridique.[20] Par la suite, Adjutor Roy rédigea une opinion juridique destinée au comité d’initiatives, dont faisait partie Théophile Carrier, grand ami de Desjardins.[21] La Caisse populaire de Lévis fut fondée le 6 décembre 1900. La Caisse fut la première coopérative d’épargne et de crédit du continent nord-américain. Conservé au fonds Alphonse-Desjardins,[22] l’opinion du notaire Roy est le seul document de son espèce qui soit antérieur à la fondation de la première Caisse.

     

    La question principale à laquelle le notaire Roy devait répondre était la suivante :

     

    Y a-t-il quelque loi dans notre province qui défende à des personnes de s’unir dans le but de s’aider mutuellement au moyen de prêts – lorsque ces personnes ne s’unissent qu’en vertu du droit commun ?

     

    Roy débuta son exposé en mentionnant les sources qu’il avait consultées, soit le Code civil, le Code de procédure civile, les Statuts refondus du Québec, et la jurisprudence pertinente. Ensuite, il se prononça :

     

    Il n’y a aucune loi qui défende ces genres d’union d’une manière formelle et positive, mais je suis d’opinion que ces unions n’ayant aucune existence légale et n’étant pas reconnues par la loi, ne peuvent par conséquent poursuivre et être poursuivies, prêter et emprunter, déposer et retirer à/d’une institution quelconque et [ne] faire aucun acte d’administration sous le nom assumé.

     

    Desjardins réussit à convaincre ses amis mutualistes de courir le risque. La Caisse populaire de Lévis fut fondée le 6 décembre 1900 sous le régime du droit commun. La personnalité morale de la première Caisse ne fut acquise qu’après l’adoption en 1906 de la Loi des syndicats coopératifs.[23]

     

    La question de la personnalité morale des groupements non incorporés est toujours d’actualité. En 1996, dans l’arrêt Ville de Québec c. Compagnie d’immeubles Allard, la Cour d’Appel s’est divisée sur la question, le juge Brossard, avec la majorité, étant d’opinion que la société [non incorporée] n’a pas de personnalité distincte à celle des personnes qui la composent.[24]

     

    À tout considérer, les notaires du Québec peuvent aujourd’hui faire valoir pour leur profession, grâce à Joseph-Edmond Roy et Adjutor Roy, le privilège d’avoir accompagné Alphonse Desjardins dans ses recherches et sa démarche vers la fondation du Mouvement Desjardins.

     

    Remerciements : M. Warren Baker, numismate, et M. Georges-Étienne Proux, historien.

     

     

    *    NOTE IMPORTANTE:  En 2002, la découverte des procès-verbaux de la Société de construction permanente de Lévis permet d’ajouter qu’Alphonse Desjardins a siégé au Conseil de la Société de mai 1889 à mai 1894, soit pendant 5 années, et que sa candidature n’a pas été retenue par les actionnaires à l’occasion du scrutin des assemblées générales de 1894 et de 1896.

     

     

     

     

     


     

     


     


     

    [1] Dates Lévisiennes, vol. 1, p. 314, et Le Bulletin paroissial de Lévis, Mai 1910, p. 132

    [2] Greffe Joseph-Edmond Roy, No 4737, En 1898, Joseph-Edmond Roy (1858-1913) fonda la Revue du Notariat qu’il dirigea jusqu’en 1913 à partir de son étude du 9, rue Wolfe, à Lévis. Il était le fils du notaire Léon Roy (1824-1886), frère de Pierre-Georges (1870-1953), fondateur des archives nationales du Québec, et d’Adjutor (1874-1937), également notaire.

    [3] Voir La Seigneurie de Lauzon, vol. 63, automne 1996, p. 16, pour des renseignements sur Théophile Carrier et une photographie du siège social de la Société de construction permanente de Lévis, rue Wolfe.

    [4] Revue Desjardins, février 1965, p. 24.

    [5] Circonscription foncière de Lévis, enregistrement no 33 516.

    [6] Voir note 5, enregistrement no 33 610.

     

    [7] Voir note 5, enregistrement no 34 643.

    [8] La Seigneurie de Lauzon, No 63, p. 16.

    [9] Voir note no 2, no 4563.

    [10] Voir note 2, no 4570.

    [11] Voir note 2, no 4376.

     

    [12] Voir note 2,  no 4667.

     


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