• Avant propos :  En 1873, il n’y avait que deux institutions financières ayant place d’affaire à Lévis, soit la Caisse d’économie de Notre-Dame de Québec installée près des traversiers en 1868 et la Société de construction permanente de Lévis fondée en 1869. Un article publié le lundi 5 mai 1873 dans l’Écho de Lévis[1] nous renseigne sur les arguments retenus par l’institution de Lévis pour s’adresser au peuple, et plus particulièrement aux ouvriers, afin de favoriser l’épargne. L’extrait qui suit se doit d’être attribué à Léon Roy, notaire, fondateur de la Société de construction permanente de Lévis.

     

    (Extrait intégral tiré de l’Écho de Lévis)

     

    La Société de construction permanente de Lévis (1873)

     

    Léon Roy, secrétaire-trésorier

    L’Écho de Lévis, 5 mai 1873

     

    « Nous publions[2] dans une autre colonne le quatrième rapport annuel de cette société, et le public peut voir d’après ce rapport que la société est entrée dans une voie très prospère, où elle continuera bien certainement de s’avancer sous la sage et habile direction du bureau[3] qui préside à son administration.

     

    Le cercle des opérations de la société n’est pas encore très étendu, cependant, vu le peu de temps qui s’est écoulé depuis le jour où elle a commencé à exister, elle a produit des résultats très satisfaisants et promet d’être en état d’offrir avant longtemps, au public, tous les avantages et toutes les garanties que présentent les autres sociétés du même genre, plus puissantes et plus anciennes.

     

    Généralement, on n’apprécie pas suffisamment les avantages qu’offrent les sociétés du genre de la Société de construction permanente de Lévis, et grand nombre d’ouvriers croient qu’ils n’en peuvent tirer aucun profit. C’est là une grave erreur dont ils sont dupes les premiers. Il serait asses facile à un ouvrier sobre, laborieux et économe surtout pour celui qui entre en ménage, de mettre de côté quelques piastres par mois, de prendre une ou deux parts à la société de bâtisse[4], et au bout de dix ou douze ans, quand il pense à faire instruire ses enfants, ou à leur faire apprendre un métier, il serait en état de pourvoir à leur éducation et à leur entretien, même de les établir sans s’en apercevoir, pour ainsi dire.

     

    Ce que nous disons ici de l’ouvrier peut également s’appliquer à toutes les classes de la société, aux personnes d’une fortune indépendante, hommes de profession, cultivateurs, artisans, serviteurs, etc., tous peuvent insensiblement et avec facilité se créer un petit capital, qui leur sera ensuite de la plus grande utilité. Cela est également vrai du marchand, du commerçant qui croient communément que ces sociétés sont pour leur argent un mauvais placement, et ils n’auraient raison si nous disions qu’ils doivent mettre tous leurs fonds. Mais c’est là un moyen d’avoir en réserve un certain capital, sur lequel ils pourront compter en tout temps et qu’ils auront accumulé sans que leur commerce en ait aucunement souffert. Ceci est pour ceux qui veulent mettre leur argent en sûreté et le faire profiter d’une manière sûre et profitable.

     

    Quant à ceux qui désirent emprunter, ils trouvent aussi l’avantage de pouvoir obtenir au moyen d’une garantie raisonnable une somme qui leur permet d’acquérir des maisons ou autres propriétés, et surtout l’avantage, en quelque sorte inappréciable, de rembourser ce montant par petits versements périodiques pendant un certain laps de temps. Tous ceux qui en font fait l’essai s’en sont bien trouvés.

     

    Que l’on se prive un peu, que l’on fasse quelques économies afin de prendre une ou deux parts[5] à la société de bâtisse et ce sera pour l’ouvrier un encouragement au travail, une consolation de savoir qu’au bout de quelques années, il sera en état d’établir sa famille, ou de lui laisser un petit capital qui la mettra à l’abri de la misère ».

    (Fin de l’extrait)

     

    Tiré du procès-verbal de l’assemblée annuelle de 1884 :

     

    Cette année elle (la société) aura à payer la somme de $ 13 468.00 répartie entre 36 ½ actions, faisant $ 369.00 par action, donnant un intérêt de 8 %. Les Directeurs n’espéraient certainement pas arriver à un résultat aussi rémunératif, au delà même de toutes institutions financières dans le District de Québec.

     

     

    ÉPILOGUE (Par Yvan-M. Roy)  Première conclusion : Le « petit capital » d’un ouvrier qui, en 1873, aurait souscrit une action de 400 $ [6] dans la société se serait élevé dix ans plus tard à 769 $ [7]. C’est la première conclusion qui s’impose à la lecture du Rapport annuel de la société pour l’année 1884 :

     

               

                                                          Seconde conclusion : À cette époque, grâce à ses administrateurs, la Société de construction permanente de Lévis surpassait les institutions financières du grand Québec.

     

     

    Ajout : Les notes de bas de page sont d’Yvan-M. Roy, 20 décembre 2010.



    [1] De 1872 à 1876, Alphonse Desjardins était à l'emploi de l’Écho de Lévis. En mai 1873, lors de la parution de l'article en cause, Desjardins était agé de 18 ans. Il est possible que Desjardins ait joué un rôle dans la publication de cet article. Toutefois, il n'était pas un fervent mutualiste puisque ce n’est qu’en 1889 qu’il  prendra  la décision de souscrire une part dans le fonds de la Société de construction permanente de Lévis. Il se qualifia pour siéger au  ‘’bureau de direction’’ en compagnie de Théophile Carrier, son compagnon au collège de Lévis. Il retira son action en 1896 après avoir essuyé deux échecs aux élections du conseil (1894 & 1896)

    [2] Poitras & Cie, Propriétaires-Éditeurs, journal hebdomadaire avec entête : ‘’Journal politique, littéraire, commercial, industriel et agricole’’ et ‘’Le travail, l’économie et la pratique de bonnes mœurs élèvent le peuple et lui procurent le bien-être et la prospérité’’

    [3] Thomas Dunn, président, François Bertrand, vice-président,  Georges Carrier, Jos-Cyrille Hamel, Edouard Lemieux, Jean-Baptiste Michaud, Étienne Samson, administrateurs; Léon Roy, secrétaire-trésorier. (Théophile Carrier, tenue des livres)

    [4] Calque de l’anglais : “Building Society”

    [5] Le Quatrième rapport annuel de 1873 donne les informations suivantes : 410 actions (parts) sont émises d’une valeur de $ 400.00 chacune, durant l’exercice 1872-73, et un total de $ 9 548.00 a été prêté aux actionnaires ) (actualisé en 2010 à $ 2 400 000 ).

    [6] Soit 120 paiements de $ 3.33  par mois, pendant 10 ans.

    [7] Vers 1870, un ouvrier spécialisé gagnait $300 par année et pouvait acquérir une maison et son terrain pour environ 600 $.


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  • Me J.-EDMOND ROY, NOTAIRE, LA SOCIÉTÉ DE CONSTRUCTION PERMANENTE DE LÉVIS ET ALPHONSE DESJARDINS

     

    Par Me Yvan-M. Roy, avocat

    La Revue du Notariat, Vol. 99, Janvier 1997

     

    AVANT-PROPOS

     

    Jusqu’à aujourd’hui, l’histoire nous a enseigné que, avant de fonder sa première Caisse populaire d’épargne et de crédit, Alphonse Desjardins connaissait peu de choses sur la pratique courante des affaires bancaires. Ses connaissances auraient été principalement de nature théorique. Les faits que nous avons relevés renversent le courant historique actuel. Ils prouvent que le fondateur du Mouvement Desjardins s’est d’abord exercé à la pratique bancaire nord-américaine avant de verser dans l’étude de la théorie coopérative européenne. De 1892 à 1895 *, Alphonse Desjardins avait participé aux décisions courantes du Conseil d’administration de la Société de construction permanente de Lévis, une société mutuelle d’épargne et de crédit conseillée par Joseph-Edmond Roy, notaire, et fondée en 1869 par son père, Léon Roy, également notaire, suivant les lois du Bas-Canada. Notre enquête a démontré clairement que le Mouvement Desjardins a des racines qui s’enfoncent profondément dans l’expérience bancaire nord-américaine.

     

    * Voir en fin de texte la note qui vient remplacer ces dates ainsi:  ''De 1889 à 1894 ...

     

    INTRODUCTION

     

    Le 6 décembre 1900, Alphonse Desjardins fondait à Lévis la première des caisses coopératives d’épargne et de crédit du Mouvement Desjardins. Quelles étaient alors les connaissances du fondateur sur la pratique courante des affaires bancaires ? C’est dans les opérations d’une société mutuelle d’épargne et de crédit fondée à Lévis en 1869 que nous avons trouvé la réponse à cette question.

     

    A partir de 1890, L’Indicateur de Québec et Lévis publia chaque année le nom des personnes qui se trouvaient à la tête des sociétés et corporations des deux villes. Ainsi, pendant trois ans, soit de 1892 à 1895, L’Indicateur laisse voir qu’Alphonse Desjardins était membre du conseil d’administration de la Société de construction permanente de Lévis, Joseph-Edmond Roy, notaire, y était conseiller juridique.

     

    La Société de construction permanente de Lévis était une entreprise à capital-actions. Les quatre buts principaux étaient d’aider ses membres à « acquérir une propriété », à « libérer leurs dettes », à « recevoir d’avance le montant de leurs actions » moyennant bonne garantie, et à fournir les moyens de « placer de petites sommes d’argent » de manière sûre et rémunératrice. La Société avait un comptoir, elle encaissait et prêtait des sommes d’argent. La Société effectuait ainsi les principales opérations qui se trouvent à la base de l’activité bancaire.

     


     

    LES SOCIÉTÉS DE CONSTRUCTION

     

    Les premières sociétés de construction d’Amérique virent le jour aux États-Unis vers 1830. La première société de construction du Canada débuta ses opérations à Montréal en 1845. La Société de construction permanente de Lévis fut fondée en avril 1869. le fondateur et premier secrétaire-trésorier fut Léon Roy, notaire.[1] Pendant de nombreuses années, le gouvernement du Canada encouragea le développement de ces sociétés à caractère mutualiste parce qu’elles prêtaient au peuple. Les banques avaient la triste réputation de ne prêter qu’aux riches.

     

    LE CONSEIL DE 1892 À 1895

     

    De 1892 à 1895, la composition du Conseil d’administration de la Société de construction permanente de Lévis demeura inchangée. Le Conseil était ainsi formé : président : Narcisse Lacerte, médecin; vice-président : Édouard Goulet, marchand-épicier; administrateurs : Alphonse Desjardins, sténographe; J.-Alphonse Dumontier, notaire; Jean Turgeon, maître-maçon; Joseph Verreault, marchand-épicier; David Roy, maître-menuisier; secrétaire-trésorier : Théophile Carrier, comptable. Le conseiller juridique de la Société était Joseph-Edmond Roy, notaire.

     

    PRÊTS ET ACTES D’ADMINISTRATION D’AVRIL 1892 À MARS 1895

     

    Les prêts accordés ar la Société étaient toujours garantis par des sûretés, soit mobilières, soit immobilières. En consultant le greffe du notaire Roy, nous avons fait un relevé des opérations bancaires portées à l’attention du Conseil d’administration pendant la période où Alphonse Desjardins paricipa aux décisions. Ainsi, d’avril 1892 à mars 1895, nous avons retracé 54 prêts.

     

    CAPITAUX PRÊTÉS, TAUX D’INTÉRÊTS ET DURÉE DES PRÊTS

     

    Pendant les trois exercices observés, les prêts ont totalisé la somme de 19 050 $, pour une moyenne de 6 350 $ par année. Le plus petit prêt fut de 100 $ ; le plus important fut de 4 000 $. Pour 53 prêts, le taux d’intérêt fut de 12%, calculé mensuellement. Pour un seul prêt, l’intérêt s’écarta de la norme et fut de 10%. Il s’agissait d’un montant de 4 000 $ prêté le 24 octobre 1893 à Charles Castonguay, marchand, pour un terme de 10 ans.[2]

     

    La durée des prêts s’échelonna entre un an et dix ans, pour une moyenne de six ans. Ainsi, pour une majorité, ces prêts couraient encore lorsque fut fondée la Caisse populaire de Lévis en décembre 1900.

     

    LE COMPTOIR ET LE BUREAU

     

    Les versements mensuels étaient dus le premier lundi du mois. Les emprunteurs se rendaient au comptoir de la Société, au 9, rue Wolfe, où ils faisaient leurs remises au trésorier Théophile Carrier.[3] L’historien Pierre-Georges Roy a raconté que, en ces lundis, le trésorier était souvent débordé.[4]

     

    ORIGINE SOCIALE DES EMPRUNTEURS

     

    Notre enquête révèle que les emprunteurs en grande majorité appartenaient à la classe ouvrière. En effet, 80% étaient des cols bleus exerçant l’un des métiers suivants : boucher, boulanger, charretier, chauffeur, cordonnier, couvreur, employé de chemin de fer, forgeron, gardien de nuit, journalier, laitier, menuisier, mouleur, pâtissier et tailleur de pierre.

     

    Quant aux autres, ils occupaient diverses fonctions reliées au commerce ou à l’industrie : armateur, capitaine, entrepreneur en chemins de fer, entrepreneur de pompes funèbres, maître-charretier, maître-maçon, maître-menuisier et marchand de bois.

     

    STRUCTURE DES PRÊTS

     

    Le 9 mai 1893, Georges Royer, journalier, emprunta 100 $.[5] Royer s’engagea à faire 60 versements mensuels égaux et consécutifs de 2,17 $. À la fin des 5 ans, la somme totale remboursée, capital et intérêts, devait être de 130,20 $. Le coût en intérêts pour la durée du prêt était de 30,20 $, soir une moyenne de 6,04 $ par année, pour un montant initial de 100 $. Telle était la structure normale des prêts.

     

    DE FUTURS ADMINISTRATEURS POUR LA PREMIÈRE CAISSE POPULAIRE

     

    Le 6 juillet 1893, Louis-Joseph Roberge, marchand, emprunta 1 000 $ à 12% pour une période de 5 ans.[6] Le 12 janvier 1895, Thomas Powers, entrepreneur en chemins de fer, emprunta 700 $ à 12% pour une période de six ans.[7] Roberge et Powers figurent sur la liste des membres fondateurs de la Caisse populaire de Lévis. Ils souscrivirent 5 parts sociales chacun. Roberge fit partie de la première commission de crédit. Il a déjà été établi que le secrétaire-trésorier Théophile Carrier présida la commission de crédit de la première Caisse pendant 30 ans et qu’il fut le bras droit d’Alphonse Desjardins.[8] De 1892 à 1895, Joseph Verreault avait siégé au conseil avec Alphonse Desjardins. En 1900, Verreault fut élu au Conseil d’administration de la première Caisse populaire où il occupa la vice-présidence jusqu’au décès d’Alphonse Desjardins, survenu en 1920. Il succéda alors à Desjardins à la présidence de la Caisse.

     

    PORTÉE TERRITORIALE DES GARANTIES

     

    Les actes d’obligation font voir que les emprunteurs résidaient pour la majorité dans les quartiers Notre-Dame, Saint-Laurent et Lauzon de la ville de Lévis. En banlieue, la Société détenait des hypothèques sur des immeubles à Saint-Jean Chrysostome, Saint-Lambert, Saint-David et Saint-Télesphore. Nous avons constaté avec surprise que la Société avait des liens à Trois-Pistoles et à l’Isle-Verte, dans le comté de Témiscouata. La Société avait donc des intérêts qui dépassaient de loin les limites territoriales de Lévis.

     

    À L’ÉCOLE DE L’ADMINISTRATION BANCAIRE

     

    La grande variété des résolutions du Conseil pendant cette période illustre la nature des problèmes auxquels ont été confrontés les administrateurs. Le Conseil d’administration de la Société de construction permanente de Lévis fut pour Alphonse Desjardins une école qui favorisa son apprentissage de la pratique bancaire. Nos propos sont illustrés dans les paragraphes suivants.

     

    MAIN-LEVÉE ET TRANSPORT DE GARANTIE

     

    Pendant la durée d’un prêt, il arrive fréquemment que la situation d’un emprunteur évolue. Celui-ci peut prendre du retard dans ses versements, acquitter son prêt en partie ou en totalité, voire vendre l’immeuble. D’autres situations demeurent possibles, comme la destruction totale ou partielle de l’immeuble faisant l’objet de l’hypothèque. Les administrateurs devaient adopter des résolutions pour suivre l’évolution des prêts. Ainsi, le 10 décembre 1892, Louis Bégin vendit à Jean-Baptiste Beaulieu le lot 32, quartier Lauzon, à Lévis. Beaulieu assuma les obligations de l’emprunt original qui avait eu lieu le 26 mars 1886.[9] Nous illustrons la participation d’Alphonse Desjardins aux délibérations du Conseil d’administration en reproduisant la résolution qui fut votée à l’occasion de cette vente.

     

    À une assemblée spéciale de MM. les Directeurs de la Société de construction permanente de Lévis, tenue à son bureau, le 29 janvier mil huit cent quatre-vingt-treize,

     

    Étaient présents N. Lacerte, président, Jean  Turgeon, David Roy, Jos. Verreault, J.-A. Dumontier et A. Desjardins, formant quorum du bureau de direction.

     

    Il est résolu : Que main-levée d’hypothèque demandée par M. Louis Bégin sur le terrain qu’il a vendu à J.-Bte Beaulieu soit accordée, pourvu qu’il transporte en garantie la rente de trente-six piastres que lui doit le dit Beaulieu.

     

    Vraie copie,

     

    (signé) Théophile Carrier, sec-trés.

     

    QUITTANCE D’HYPOTHÈQUE

     

    Une quittance est la déclaration écrite faite par le créancier à l’intention du débiteur pour indiquer que ce dernier a rempli ses obligations. Plus d’une trentaine de quittances furent données pendant la période en cause. C’est le président et le secrétaire-trésorier qui, sur l’autorisation du Conseil d’administration, signaient et donnaient les quittances. Ainsi, le 18 mars 1893, les administrateurs autorisaient les « officiers » à donner quittance à Anselme Côté, employé du chemin de fer Intercolonial, lors d’une remise de 14 $, soit le solde d’un prêt de 150 $ consenti le 10 avril 1891.[10]

     


     

    DÉFAUTS DE PAIEMENT

     

    Comme toute société bancaire, la Société de construction permanente de Lévis fut placée devant des emprunteurs en défaut. Dans de telles situations, les administrateurs devaient réagir. Les mauvais débiteurs mettent en péril les capitaux des sociétaires. Les faits prouvent que les administrateurs de la Société étaient patients devant les emprunteurs fautifs. Nous apportons deux exemples pour illustrer ces faits.

     

    Le 18 avril 1876, Ferdinand Ouellet du village de Lauzon emprunta 150 $. L’acte d’obligation stipulait une remise de capital et intérêt de 2 $ par mois pendant une période de dix ans. Le 12 juillet 1892, 16 ans plus tard, son fils, François Ouellet, faisait remise à la Société d’un montant de 45,75 $, soit le solde du prêt plus les intérêts accumulés.[11] Depuis 1886, et probablement antérieurement, la Société était en droit de rappeler le prêt, de réaliser sa garantie, et de se payer à même le prix de vente de la propriété Ouellet. Les administrateurs avaient choisi d’attendre.

     

    Le 12 juin 1878, Zébédé Desrochers avait contracté un prêt de 200 $ dont le terme était de dix ans. Desrochers obtint sa quittance le 10 juillet 1893 lorsqu’il fit un dernier paiement de 5,20 $.[12] La Société aurait pu réaliser sa garantie dès 1888. Comme le cas précédent, les administrateurs avaient attendu pour permettre au débiteur Desrochers de rétablir ses finances personnelles.

     

    Nous avons conclu sur ce point que les décisions des administrateurs de la Société de construction permanente de Lévis étaient marquées par un réel esprit de civisme.

     

    ACTE DE VENTE ET DROIT DE RÉMÉRÉ

     

    Nous avons trouvé cependant des cas où certains emprunteurs furent placés dans l’obligation de rendre leurs propriétés. Dans pareils cas, la Société prenait possession de ses garanties en achetant la propriété hypothéquée. Par l’acte de vente, la Société accordait au propriétaire malheureux un droit de réméré par lequel il pouvait espérer  redevenir propriétaire.

     

    Par exemple, le 5 mai 1892, Paul Pomerleau vendit à la Société son immeuble du quartier Notre-Dame pour un montant de 250 $.[13] La Société lui accorda une quittance pour kes dettes antérieurement contractées. Par le même occasion, les administrateurs lui consentirent le droit de racheter sa propriété pendant une période de dix ans.

     

    La Société laissa Pomerleau occuper l’immeuble en vertu d’un bail verbal. Pomerleau fut-il mauvais locataire ? Le 31 janvier 1894, les administrateurs firent signifier à Pomerleau un avis qui mettait fin au bail en date du 1er mai suivant.[14]

     

    Par contre, le 25 avril 1892, Jean Labonté avait cédé son immeuble dans le même quartier Notre-Dame, par vente avec droit de réméré. Labonté avait trouvé du travail à Lewiston, Maine. Les administrateurs acceptèrent de rétrocéder l’immeuble par suite de l’exercice du droit de réméré.[15]

     

    PARC D’IMMEUBLES LOCATIFS

     

    Au cours des ans, la Société avait pris possession d’un certain nombre de propriétés. Les administrateurs étaient donc appelés à décider du sort de ces propriétés. Le 31 janvier 1894, le même jour où la Société avait fait signifier à Paul Pomerleau un avis pour mettre fin au bail de l’immeuble qu’il occupait, rue Fraser, elle mettait fin au bail de Louis Guay, constable domicilié rue Samson, et à celui de Thimolaius Carbonneau, journalier du village de Lauzon.[16] La Société disposait donc d’un parc d’immeubles locatifs et les administrateurs devaient en assurer la conservation et la mise en valeur.

     

    LISTE DES ACTIONNAIRES, CAPITAL-ACTIONS ET DIVIDENDE ANNUEL

     

    À chaque année, la Société publiait une liste des actionnaires. La seule liste que nous avons pu trouver est celle de 1896-1897.[17] Comme l’exercice 1896-1897 suit immédiatement l’année du départ d’Alphonse Desjardins du Conseil d’administration, nous présumons que les données de cette liste sont sensiblement les mêmes que pour les années précédentes.

     

    En 1896, les actionnaires étaient au nombre de 118. Ils détenaient un total de 282 actions d’une valeur de 400 $ chacune. Le capital-actions de la Société était donc de 112 800 $.

     

    A l’aide de cette liste et du rapport du trésorier, les administrateurs déterminaient le dividende annuel à être voté par l’Assemblée des actionnaires. À trois reprises, Desjardins fit l’exercice.

     

    DÉPART DU CONSEIL

     

    L’Assemblée générale de 1895 n’apporta qu’une seule modification au Conseil d’administration. L’avocat Charles Darveau remplaça Alphonse Desjardins. Nous avons constaté que le nom d’Alphonse Desjardins ne fugure pas sur la liste des actionnaires de 1896-1897. Que s’était-il passé ? Alphonse Desjardins avait-il encaissé les valeurs de ses actions. Pour quelle raison ? Il est possible que Desjardins ait eu un besoin d’argent à cette époque. Cependant, nous avons trouvé des indices sérieux laissant voir que le départ d’Alphonse Desjardins du Conseil d’administration de la Société de construction permanente de Lévis fut lié à l’arrivée à Lévis d’une banque des Maritimes.

     

    LA PEOPLE’S BANK OF HALIFAX

     

    En 1868, la Caisse d’économie de Notre-Dame de Québec avait ouvert une succursale dans la basse-ville de Lévis. Sauf pour l’épisode de la Merchant’s Bank en 1875, aucune banque ne s’était hasardée à concurrencer la Caisse d’économie sur une base quotidienne. Pour avoir un choix, les résidents de toute la rive droite devaient traverser à Québec. L’emprise des banques et caisses de Québec fut brisée en mai 1894 par l’arrivée à Lévis de la People’s Bank of Halifax.[18] La People’s Bank ouvrit un comptoir dans la basse-ville, près de la Traverse, à quelque distance de la succursale de la Caisse d’économie.

     

    La personne que la People’s Bank avait désignée pour diriger la succursale de Lévis était Jean Taché, déjà gérant à Fraserville, aujourd’hui Rivière du Loup. Taché conservait la gérance de la succursale de Fraserville et il avait trouvé pension à Lévis. Dans son index aux rues pour l’année 1894-1895, L’Indicateur de Québec et de Lévis fait voir le nom de deux personnes en regard du 10, rue Blanchet, à Lévis :

     

                Desjardins, Alphonse, journaliste

                Taché, Jean, gérant de la Banque du Peuple d’Halifax (r)

     

    Dans l’index aux noms, L’Indicateur donne les renseignements qui suivent concernant le gérant de banque Taché :

     

    Taché, Jean, gérant de la Banque du Peuple d’Halifax, Commerciale 133, rés. coin Guénette et Blanchet.

     

    En 1968, le nom de la rue Blanchet a été changé pour celui de Mont-Marie. La maison historique Alphonse Desjardins se trouve aujourd’hui au 8, rue Mont-Marie, au coin de Guénette et Mont-Marie.

     

    CONCLUSION

     

    Jusqu’à aujourd’hui, l’histoire nous a enseigné que, avant de fonder sa première Caisse populaire d’épargne et de crédit, Alphonse Desjardins connaissait peu de choses sur la pratique courante des affaires bancaires. Ses connaissances auraient été principalement de nature théorique. Les faits que nous avons relevés renversent le courant historique actuel. Ils prouvent que le fondateur du Mouvement Desjardins s’est d’abord exercé à la pratique bancaire nord-américaine avant de verser dans l’étude de la théorie coopérative européenne. De 1892 à 1895, Alphonse Desjardins avait participé aux décisions courantes du Conseil d’administration de la Société de construction permanente de Lévis, une société mutuelle d’épargne et de crédit conseillée par Joseph-Edmond Roy, notaire, et fondée en 1869 par son père, Léon Roy, également notaire, suivant les lois du Bas-Canada. Notre enquête a démontré clairement que le Mouvement Desjardins a des racines qui s’enfoncent profondément dans l’expérience bancaire nord-américaine.

     

    ÉPILOGUE

     

    D’après plusieurs, l’idée de réaliser un projet de coopérative d’épargne et de crédit est née chez Alphonse Desjardins au printemps de 1897 à l’occasion d’un débat à la Chambre des Communes où il occupait la fonction de sténographe. Le député Michaël Quinn (Montréal-Sainte-Marie) avait alors fait une sortie remarquée contre le phénomène de l’usure. Dans Profils Lévisiens, en 1948, l’historien Pierre-Georges Roy, un contemporain de Desjardins, avait indiqué une direction différente :

     

    ‘’Le fondateur des Caisses Populaires a probablement pris dans les règlements de la Société de construction permanente [de Lévis] l’idée de sa géniale fondation.’’ [19]

     

    Sans trancher pour l’une ou l’autre de ces deux thèses, notre étude apporte des faits jusqu’ici ignorés : avant 1897, Alphonse Desjardins était engagé profondément dans l’épargne et le crédit populaires. Alphonse Desjardins a fait ses débuts dans les affaires bancaires en 1892 à la Société de construction permanente de Lévis. En 1894, il entra en relations étroites avec le gérant de la People’s Bank of Halifax.

     

    En 1898, Adjutor Roy releva son frère Joseph-Edmond dans ses fonctions auprès de la Société de construction. Le 20 septembre 1900, Alphonse Desjardins invita chez lui quelques amis mutualistes pour leur exposer son projet d’une société coopérative d’épargne et de crédit. Un comité d’initiatives fut formé pour la rédaction des statuts. Le 25 septembre suivant, au bureau de la Société, rue Wolfe, Desjardins rencontra le président Lacerte, le trésorier Carrier, et Adjutor Roy, conseiller juridique.[20] Par la suite, Adjutor Roy rédigea une opinion juridique destinée au comité d’initiatives, dont faisait partie Théophile Carrier, grand ami de Desjardins.[21] La Caisse populaire de Lévis fut fondée le 6 décembre 1900. La Caisse fut la première coopérative d’épargne et de crédit du continent nord-américain. Conservé au fonds Alphonse-Desjardins,[22] l’opinion du notaire Roy est le seul document de son espèce qui soit antérieur à la fondation de la première Caisse.

     

    La question principale à laquelle le notaire Roy devait répondre était la suivante :

     

    Y a-t-il quelque loi dans notre province qui défende à des personnes de s’unir dans le but de s’aider mutuellement au moyen de prêts – lorsque ces personnes ne s’unissent qu’en vertu du droit commun ?

     

    Roy débuta son exposé en mentionnant les sources qu’il avait consultées, soit le Code civil, le Code de procédure civile, les Statuts refondus du Québec, et la jurisprudence pertinente. Ensuite, il se prononça :

     

    Il n’y a aucune loi qui défende ces genres d’union d’une manière formelle et positive, mais je suis d’opinion que ces unions n’ayant aucune existence légale et n’étant pas reconnues par la loi, ne peuvent par conséquent poursuivre et être poursuivies, prêter et emprunter, déposer et retirer à/d’une institution quelconque et [ne] faire aucun acte d’administration sous le nom assumé.

     

    Desjardins réussit à convaincre ses amis mutualistes de courir le risque. La Caisse populaire de Lévis fut fondée le 6 décembre 1900 sous le régime du droit commun. La personnalité morale de la première Caisse ne fut acquise qu’après l’adoption en 1906 de la Loi des syndicats coopératifs.[23]

     

    La question de la personnalité morale des groupements non incorporés est toujours d’actualité. En 1996, dans l’arrêt Ville de Québec c. Compagnie d’immeubles Allard, la Cour d’Appel s’est divisée sur la question, le juge Brossard, avec la majorité, étant d’opinion que la société [non incorporée] n’a pas de personnalité distincte à celle des personnes qui la composent.[24]

     

    À tout considérer, les notaires du Québec peuvent aujourd’hui faire valoir pour leur profession, grâce à Joseph-Edmond Roy et Adjutor Roy, le privilège d’avoir accompagné Alphonse Desjardins dans ses recherches et sa démarche vers la fondation du Mouvement Desjardins.

     

    Remerciements : M. Warren Baker, numismate, et M. Georges-Étienne Proux, historien.

     

     

    *    NOTE IMPORTANTE:  En 2002, la découverte des procès-verbaux de la Société de construction permanente de Lévis permet d’ajouter qu’Alphonse Desjardins a siégé au Conseil de la Société de mai 1889 à mai 1894, soit pendant 5 années, et que sa candidature n’a pas été retenue par les actionnaires à l’occasion du scrutin des assemblées générales de 1894 et de 1896.

     

     

     

     

     


     

     


     


     

    [1] Dates Lévisiennes, vol. 1, p. 314, et Le Bulletin paroissial de Lévis, Mai 1910, p. 132

    [2] Greffe Joseph-Edmond Roy, No 4737, En 1898, Joseph-Edmond Roy (1858-1913) fonda la Revue du Notariat qu’il dirigea jusqu’en 1913 à partir de son étude du 9, rue Wolfe, à Lévis. Il était le fils du notaire Léon Roy (1824-1886), frère de Pierre-Georges (1870-1953), fondateur des archives nationales du Québec, et d’Adjutor (1874-1937), également notaire.

    [3] Voir La Seigneurie de Lauzon, vol. 63, automne 1996, p. 16, pour des renseignements sur Théophile Carrier et une photographie du siège social de la Société de construction permanente de Lévis, rue Wolfe.

    [4] Revue Desjardins, février 1965, p. 24.

    [5] Circonscription foncière de Lévis, enregistrement no 33 516.

    [6] Voir note 5, enregistrement no 33 610.

     

    [7] Voir note 5, enregistrement no 34 643.

    [8] La Seigneurie de Lauzon, No 63, p. 16.

    [9] Voir note no 2, no 4563.

    [10] Voir note 2, no 4570.

    [11] Voir note 2, no 4376.

     

    [12] Voir note 2,  no 4667.

     


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  • L’École Saint-François-Xavier, école pilote à l’époque des caisses scolaires et de l’épargne du sou  

     

    Par Yvan-M. Roy

    Juin 2005 (Publié à SOSVieux-Lévis.com)

     

    Le 8 juin 2005, en réaction aux propos de monsieur Yvan-M. Roy publiés sur "L'épargne du sou",  le comité S.O.S. Vieux-Lévis a publié les résultats d'une recherche effectuée par monsieur Guy Bélanger, de la Société historique Alphonse-Desjardins (SHAD), sur l'histoire de L'épargne du sou et les réels liens qui auraient existé entre les caisses scolaires fondées par Alphonse Desjardins et l'École Saint-François-Xavier.

     

    Comme première conclusion de recherche, M. Bélanger écrit : « De toute évidence, il n’y a aucun lien entre l’implantation de l’épargne du sou en 1901, et l’école Saint-François-Xavier, dont la construction remonte à quelques années plus tard, en 1906 et 1907 ».

     

    Comme seconde conclusion, M. Bélanger ajoute : « Quant aux caisses scolaires proprement dites, leurs liens avec l’école Saint-François-Xavier sont sans doute plus significatifs, sans êtres exceptionnels pour autant ».

     

    Mais avant de poursuivre, nous reproduisons les principaux paragraphes de notre requête au maire Jean Garon qui a entraîné l’étude de M. Bélanger :

     

          -  « En même temps que la décision se prenait de fermer les petites écoles au profit de l’école

    centrale (Saint-François-Xavier), un projet novateur était mis en application auprès des

     écoliers. »

                - « Durant l’année scolaire 1906-07, les instituteurs et institutrices des écoles de Lévis avaient

                   accepté de participer à un programme d’épargne lancé auprès des écoliers par la Caisse

                   populaire de Lévis. »

    - « Les caisses scolaires et « L’épargne du sou » furent expérimentées dans les écoles de Lévis

     et l’école Saint-François-Xavier en fut l’école pilote. »

     

    L’épargne du sou

         

    Poursuivons maintenant en considérant la première conclusion de M. Bélanger. Ce que M  Bélanger ne révèle pas cette première conclusion, c’est que dans l’histoire de « La Caisse populaire de Lévis » (Décembre 2000) et dont il est l’auteur, il avait lui-même affirmé qu’en 1901, les instituteurs de Lévis avaient répandu la propagande en faveur de l’épargne dans les diverses écoles de la ville et précisément à l’école Saint-François-Xavier :

     

    « « Dès le mois d’août 1901, Desjardins convainc aisément les administrateurs de la Caisse populaire de Lévis « que des mesures soient prises pour répandre la propagande en faveur de l’épargne dans les diverses écoles de la ville, au moyen de courtes causeries faites par les instituteurs aux élèves. » Avant la fin de l’année, ces mesures sont appliquées, par exemple, à l’école Saint-François-Xavier. » » (1)  

     

    Nous faisons remarquer ici qu’en 1901, M. Desjardins utilise les mots « propagande » et « épargne » dans les écoles, et non pas encore spécifiquement le vocable « l’épargne du sou ». Le 30 novembre 1903, lors de l’assemblée générale de la Caisse populaire de Lévis, M. Desjardins parle du sou de l’épargne, mais il n’utilise pas encore le concept « épargne du sou » : M. Desjardins : « Le sou de l’épargne est la base des développements de nos industries, de notre richesse nationale » (2)

     

    Le moment n’est pas encore établi où le slogan « L’épargne du sou » a fait premièrement et publiquement son apparition. Nos convenons que l’idée est apparue en 1901, mais le programme dûment identifié et structuré est apparu plus tard. Le programme a définitivement  pris forme en 1907 avec la création des premières caisses scolaires.

     

    Les caisses scolaires

     

    En poursuivant, nous citons à nouveau M. Bélanger dans « La Caisse populaire de Lévis » : « En 1907, Alphonse Desjardins jette les bases d’un véritable service d’épargne scolaire dans la région lévisienne. Il organise alors les premières caisses d’économies scolaires dans les écoles de Lévis, de Saint-Joseph-de-Lévis (Lauzon) et de Saint-Romuald. » (3)  Et nous comparons nos propos :

     

    Il n’y a rien de faux ou contradictoire dans notre lettre au maire Garon lorsque nous avons écrit : « Durant l’année scolaire 1906-07, les instituteurs et institutrices des écoles de Lévis avaient accepté de participer à un programme d’épargne lancé auprès des écoliers par la Caisse populaire de Lévis. »

     

    Il n’y a également rien de faux ou contradictoire dans cette même lettre quand nous écrivons : « Les caisses scolaires et « L’épargne du sou » furent expérimentées dans les écoles de Lévis et l’école Saint-François-Xavier en fut l’école pilote. »

     

    Pourquoi avons-nous donné à Saint-François-Xavier le titre « d’école pilote » face aux  écoles de l’extérieur ? La réponse : parce que ce sont les instituteurs et institutrices des petites écoles de Lévis qui, pour l’année scolaire 1906-07, furent regroupés à l’école centrale Saint-François-Xavier, et parce que ce sont eux qui, depuis 1901, avaient fait dans leurs petites écoles la propagande demandée par Alphonse Desjardins auprès de leurs jeunes élèves. En 1903, il y avait déjà 150 livrets de la Caisse populaire de Lévis émis au nom des jeunes gens et des enfants de Lévis. (4)  L’école Saint-François-Xavier était située à deux minutes de la résidence de M. Desjardins et ce dernier connaissait probablement le nom de tout le personnel de l’école, ce qui n’était certainement pas le cas pour les écoles de Lauzon ou de Saint-Romuald situées à des kilomètres du centre de Lévis. A l’évidence, en 1907, l’endroit le plus réceptif et le plus dynamique pour lancer une caisse scolaire se trouvait à l’école Saint-François-Xavier. L’étude de M. Bélanger banalise la contribution de l’école Saint-François-Xavier et celle de son personnel. Qu’aurait-il fallu de plus pour que la contribution de l’école Saint-François-Xavier devienne exceptionnelle ?

     

    CONCLUSION : Bref, l’état des connaissances actuelles ne permet pas de conclure que les liens des premières caisses scolaires avec l’école Saint-François-Xavier sont significatifs sans être exceptionnels. A l’image de la Caisse populaire de Lévis qui fut la caisse pilote des toutes premières caisses populaires, l’école Saint-François-Xavier fut l’école pilote des premières caisses scolaires à l’époque de « L’épargne du sou ». Il est regrettable que sans procès véritable cette école ait croulé sous le pic des démolisseurs. Nous avons laissé partir un élément précieux de notre patrimoine national.

     

    1)   La Caisse populaire de Lévis – 1900/2000, Guy Bélanger, Éditions Dorimène, Lévis 2000, p. 87.

    2)   Caisse populaire de Lévis, Procès-verbaux des assemblées générales des sociétaires, 30 nov. 1903.

    3)  Voir note 1, p. 86.                                              

    4)  Voir note 2.

     


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  • BONNE OCCASION DE SAUVER LA CHUTE DE MONTMORENCY

     

    Par Yvan-M. Roy

    Le Soleil, 4 mai 1985

     

    La chute de Montmorency a toujours été perçue comme un élément contributif majeur dans l’appréciation du panorama de la région de Québec.

     

    Un nombre considérable d’aquarellistes, de peintres et de photographes réputés ont projeté à l’étranger l’image de la célèbre chute, les derniers étant Mia et Klaus Matthes dans leur récent album photographique Le Saint-Laurent.

     

    Pour sa part, le panorama de la région de Québec, auquel la chute appartient, a lui-même été reconnu comme un des plus beaux au monde. En 1684, le baron de la Hontan disait de la ville de Québec qu’elle possédait « la plus belle vue qui soit au monde’’. Le prince Napoléon reprenait en 1861 ces termes élogieux en associant le spectacle devant ses yeux à celui de la Baie de Naples. La Home University Encyclopedia répandait en 1943 dans des milliers de foyers américains l’image de Québec comme celle d’une ville « pittoresque située dans une région de rare naturelle beauté », et dont « l’histoire surpasse celle de toute autre ville d’Amérique ».

     

    L’industrialisation et l’urbanisation des quarante dernières années ont modifié sensiblement l’image de marque de notre région. L’implantation d’industries lourdes, la construction en hauteur et l’érection d’autoroutes rapides sur les berges du fleuve ont fait prendre à Québec un visage plus américain. Ces investissements, très souvent nécessaires, n’ont pas su s’intégrer au panorama et respecter l’histoire de Québec, les deux grandes forces sur lesquelles reposent les bases de l’industrie touristique. C’est sûrement ce qui explique qu’avec le plus beau capital, notre industrie touristique produit un piètre rendement lorsqu’elle se compare à d’autres provinces canadiennes.

     

    Une occasion en or s’offre présentement qui permet de récupérer un peu du bien perdu. La désaffection prochaine de l’usine de la Dominion Textile située au pied de la chute de Montmorency permet d’entrevoir la possibilité de lui redonner la vocation qu’elle aurait dû toujours garder. La transformation de l’ancienne usine en complexe hôtelier, en musée, ou peut-être en centre international sur les droits des minorités de l’ONU devrait être envisagée avant toute autre hypothèse qui viserait le redémarrage industriel par un autre type d’usine.

     

    Faisant face au Bout-de-l’Île, précipitant ses eaux tumultueuses sous le chemin emprunté annuellement par plus d’un million de pèlerins, la chute possède également l’avantage d’être placée entre deux sites exceptionnels, le Vieux-Port et le Cap-Tourmente, qui font l’objet d’attentions particulières depuis quelques années.

     

    Il est donc grand temps que notre population prenne conscience de la situation présente et que notre région s’occupe enfin du sort de sa principale chute. Les investisseurs publics et privés devraient prendre bonne note car une telle occasion est de celles qui ne se présentent qu’à tous les cent ans.

     

     


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  • PRÉSERVER L’ENVIRONNEMENT DU FLEUVE         (1986)

     

    Par Yvan-M. Roy

    Le Devoir, 9 septembre 1986

     

    Les citoyens de Portneuf et de Lotbinière mènent présentement une lutte contre Hydro-Québec pour préserver l’environnement du fleuve Saint-Laurent dans la région de Québec.

     

    En proposant d’ériger de gigantesques pylônes métalliques pour franchir le fleuve entre Portneuf et Lotbinière, Hydro-Québec s’attaque encore une fois à notre plus beau capital, le fleuve Saint-Laurent. La démarche a des précédents. Au nom de l’intérêt public, le Saguenay et l’île d’Orléans ont été victimes de véritables saccages. L’avenir économique du Québec était en jeu. Les décideurs n’avaient malheureusement pas le choix. Il fallait, coûte que coûte, faire passer les lignes en provenance de la Manicouagan et du Labrador.

     

    Aujourd’hui cependant, pour relier la Baie James aux États-Unis, il existe des alternatives au projet actuel. Toutefois, les administrateurs d’Hydro-Québec prennent leurs décisions dans une tour de béton au cœur de la ville de Montréal. Ils sont fidèles à leurs vieilles habitudes. Lorsqu’ils se prononcent sur l’intérêt public, ils se comportent comme s’ils étaient infaillibles. Ils agissent comme si leurs attributions dérivaient directement du Dieu Électricité, avec pouvoir de frapper comme la foudre, sans avertir et sans s’expliquer.

     

    Les citoyens de Portneuf et de Lotbinière se sont opposés avec vigueur au projet retenu par les administrateurs d’Hydro-Québec. Après avoir analysé les réactions et le comportement des deux parties, l’éditorialiste Vincent Cliche du journal Le Soleil s’est prononcé dans l’édition parue le 21 août dernier. Il a dénoncé la façon cavalière, adoptée par la société d’État, dans ses relations avec les citoyens, la méthode par laquelle l’information est livrée au compte-gouttes, le refus buté d’entreprendre une consultation valable au moyen d’audiences publiques et, finalement, le silence complice des autorités gouvernementales. Le lecteur ne peut que constater la mauvaise foi de la partie gouvernementale.

     

    Sur une distance de 15 kilomètres, les comtés de Portneuf et de Lotbinière se font face devant le fleuve Saint-Laurent. Jusqu’à aujourd’hui. Aucune ville d’importance n’est venue s’établir sur les terres riveraines. La fondation des villages remonte au régime français. L’architecture des maisons et des églises est remarquable. La qualité de vie des résidents est spéciale du fait que l’industrialisation et l’urbanisation ont pratiquement ignoré ces endroits de notre pays.

     

    La largeur du fleuve devant les comtés de Portneuf et de Lotbinière est de plus ou moins un kilomètre. Dans un tel décor patrimonial, l’escarpement  des rives permet à l’observateur qui se déplace en bicyclette ou en voiture de voir défiler le fleuve et le paysage laurentien. Ce cadre enchanteur se prolonge jusqu’à Québec où les grands hôtels de la ville, dont le Château Frontenac, en ont habilement exploité depuis longtemps les grandeurs. L’activité touristique dans la région est importante. La réputation internationale de Québec s’est bâtie à partir de l’exploitation des thèmes suivants : le panorama et l’histoire. L’industrie touristique génère un revenu annuel de  $500 millions pour la région. Des milliers d’emplois en dépendent.

     

    Les administrateurs de la société d’État avaient sous-évalué la réaction des citoyens de Portneuf et de Lotbinière. D’où l’embarras et le mutisme actuel de la société. Les citoyens prétendent avec énergie et conviction que le tracé le moins dommageable pour l’environnement est celui qui traverse le fleuve plus ou moins à l’ouest entre le comté de Champlain et Gentilly-Bécancour, un centre industrialo-portuaire en banlieue sud  des Trois-Rivières. Ils sont appuyés dans leurs démarches pars les producteurs agricoles de leurs comtés.

     

    Le ministre de l’Environnement, le ministre du Tourisme et le ministre des Affaires culturelles ont hérité de mandats spécifiques pour défendre certains biens concernant l’intérêt public. Ces biens ne doivent pas être automatiquement sacrifiés devant l’absolutisme des grands prêtres d’Électricité. Certes, il faut continuer à vendre notre énergie aux Américains tout en continuant de mettre en valeur nos terres agricoles. Mais notre société a également d’autres intérêts auxquels elle porte une attention spéciale. Parmi ces biens que les ministres précités doivent défendre figure le fleuve Saint-Laurent, particulièrement dans la région de Québec. Présentement, les apparences démontrent qu’Hydro-Québec a agi seule, sans consultation véritable. Le choix retenu semble arbitraire. Les décisions arbitraires sont contraires à nos traditions démocratiques. Elles sont la plupart du temps prises à l’encontre de l’intérêt public.

     

     

    P.s. (2011) : La détermination des citoyens de Portneuf et de Lotbinière eut raison de l’absolutisme des grands-prêtres d’Électricité.

     

    En 1988, Hydro-Québec entreprit la construction d’une ligne de transmission aérienne temporaire au dessus du fleuve entre Portneuf (Grondines) et Lotbinière. La construction des jetées nécessita 20 000 voyages de pierre par camions (400 000 tonnes). Une quarantaine de travailleurs spécialisés mirent 5 mois pour l’érection des tours. Au printemps suivant débuta la construction d’un tunnel sous-fluvial de 3 954 mètres. Le 1er novembre 1990, la ligne de transmission aérienne entra en service avec un taux de transmission de 1200 MW, porté à 2250 MW le 1er juillet suivant. En 1992, la ligne aérienne fut démantelée au coût de 16 millions CDN après la mise en service des câbles sous-fluviaux.  YMR


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